Dans
son étude «1814 : Napoléon en Haute-Marne», parue en
2013, le club Mémoires 52 s'est attardé longuement sur la bataille
du 26 mars 1814 dans la plaine de Saint-Dizier, jusqu'à Saudrupt
dans la Meuse. Voici cette relation de l'avant-dernière victoire de
Napoléon Ier, dont on commémore cette année le bicentenaire du
décès.
« Une
forte colonne talonne les Français
Conformément
au souhait exprimé la veille, Napoléon a quitté Saint-Dizier. Le
24 mars 1814, à 5 h, il est à Doulevant, logeant au domicile de
Jean-Baptiste Jeanson. Lequel n'est pas là pour accueillir son
souverain : ce notaire de 52 ans est mort chez lui le 13 mars (à 2 h
de l'après-midi), semble-t-il victime des cosaques.
L'armée
suit le mouvement et quitte peu à peu la région bragarde pour
remonter la vallée de la Blaise. Au 25 mars, selon Steenackers, le
2e corps, désormais confié au général meusien Gérard, est à
Valcourt, le 7e du maréchal Oudinot (autre Meusien) à Humbécourt,
le 11e du général Molitor à
Attancourt,
donc entre Saint-Dizier et Wassy, le quartier général est à
Mathons. Les généraux de cavalerie Defrance et Sébastiani
observent la route de Montier-en-Der, la division Lefol est à
Brousseval, la division Exelmans à Rachecourt (sur-Blaise), Ney et
Colbert sont à Wassy...
Macdonald
: «A peine étais-je sorti d'Humbécourt pour aller à
Valcourt, une forte colonne de cavalerie débouchait d'Eclaron...
Dans le même temps, 8 à 900 hommes de cavalerie et 40 à 50 bouches
à feu s'étaient fait voir sur la route de Vitry à Saint-Dizier et
entraient dans cette ville...»
Ainsi
donc, l'armée française attire dans son sillage une forte colonne
ennemie, commandée par le lieutenant-général Ferdinand F.
Wintzingerode, 44 ans, cavalier d'origine hessoise au service de la
Russie, vétéran d'Austerlitz, des campagnes de Russie et de Saxe.
L'avant-garde des armées alliées
? Répondons tout de suite à cette interrogation : non.
Wintzingerode, c'est un écran de fumée. Ainsi en ont décidé les
généralissimes alliés, déterminés cette fois à marcher sur
Paris.
Les
effectifs dont dispose Wintzingerode : trois régiments de dragons et
trois régiments de hussards (23 escadrons), douze régiments de
cosaques, 42 bouches à feu et 800 fantassins du 6e régiment de
chasseurs, soit un peu plus de 7 000 hommes, ajoutés aux troupes de
Tchernitcheff (environ 2 800) et au corps volant de Falkenhausen,
soit un peu plus de 10 000 hommes et 46 canons (Weil).
Le
prologue...
A
peine l'ennemi paraît que, déjà, des escarmouches s'engagent. Lors
du mouvement de l'arrière-garde de Saint-Dizier sur Wassy, le 2e
corps est pris, à hauteur de Valcourt, sous le feu de l'artillerie
établie par le général baron Tettenborn, brillant cavalier
originaire du Grand-duché de Bade. Weil évoque des pertes
enregistrées par l'infanterie française avant qu'elle ne rejoigne
le couvert de la forêt du Val, grâce à l'intervention des dragons
de Trelliard.
Voilà
qui détermine Napoléon à faire demi-tour et à affronter les
troupes alliées à Saint-Dizier. A 21 h, le maréchal Berthier, son
major-général, écrit aux commandants de corps (ainsi qu'au général
Sorbier, commandant l'artillerie, et au général de Léry,
commandant le génie) : «L'intention de Sa Majesté est
d'attaquer l'ennemi demain 26 mars, de l'acculer à la Marne et de
reprendre Saint-Dizier. Tout porte à croire que nous aurons une
bonne journée.»
La
nuit du 25 au 26 mars est marquée par des tirs entre avant-postes
français et cosaques établis à Humbécourt. L'arrivée des
divisions de Milhaud et Lhéritier oblige le général baron
Tettenborn à évacuer le village. Quelques mots sur Friedrich-Karl
von Tettenborn : âgé de 36 ans, il s'est distingué en 1813 au
service de la Russie et mourra à Vienne en 1845.
Les
cosaques mettent pied à terre pour reprendre Humbécourt, avant de
lancer une attaque. «Les cavaliers russes arrivèrent jusqu'aux
haies de clôture des jardins et à peu de distance des premières
maisons du village ; mais, accueillis par les feux de salve de
l'infanterie française qui garnissait la lisière Nord et Ouest
d'Humbécourt et par des volées de mitraille, ils durent renoncer à
une entreprise dont l'insuccès eut été certain » (Weil). Devant
le mouvement français, Tettenborn envoie la cavalerie régulière et
six canons sur la rive droite de la Marne. Ce général badois
manoeuvre habilement, se replie sur le gué d'Hoëricourt, s'offrant
le luxe de capturer un officier de l'état-major de Macdonald : le
commandant Nicolas L'Olivier, un Belge de 22 ans, adjoint à
l'état-major du 11e corps, chef de bataillon depuis seulement cinq
jours, blessé de cinq coups de lance et capturé.
Pour
Weil, Wintzingerode aurait dû refuser un combat «inégal». L'armée
de Napoléon présentait, en effet, des effectifs de l'ordre de 30
000 hommes. En outre, le général russe «eût dû s'apercevoir que
le terrain, coupé de haies et de vignes, ne se prêtait nullement à
l'action» de la cavalerie.
Voici,
selon l'historien militaire, comment le général dispose ses
troupes, un peu avant midi, le 26 mars, de sa gauche à sa droite :
.
deux bataillons de chasseurs à pied dans Saint-Dizier ;
.
la division de dragons du général Balk, couverte sur son front par
douze pièces d'artillerie à cheval ;
.
en réserve, derrière l'aile gauche, les généraux Orurk et
Benkendorf, avec deux escadrons de hussards d'Izioume, cinq régiments
de cavalerie régulière, trois régiments de cosaques, 30 canons ;
.
sous Tettenborn, les hussards d'Elisabethgrad, deux escadrons de
cavalerie d'Izioume, deux escadrons de landwehr prussienne (major von
Falkenhausen), neuf régiments de cosaques et huit pièces de canon,
à l'aile droite ;
.
l'artillerie de Balk et Tettenborn (20 pièces) en batterie derrière
la levée formée par la route de Saint-Dizier à Vitry.
Weil
: «L'empereur, arrivé en personne sur le plateau de Valcourt,
embrassant d'un coup d'oeil les positions occupées par la cavalerie
russe sur la rive droite de la Marne, donnait à son artillerie
l'ordre de se mettre en batterie et d'ouvrir immédiatement le
feu...»
Koch
racontera dès 1819 : Napoléon «ordonna aussitôt à la
cavalerie de franchir la Marne au gué d'Hallignicourt. Le comte
Sébastiani la passa en colonne en pelotons, et se déploya à droite
et à gauche du gué, soutenu par les corps des comtes Saint-Germain,
Milhaud et Valmy (Note : Kellermann), qui se formèrent sur les
flancs. L'infanterie de la Garde, celle du comte Gérard et du duc de
Tarente suivirent la cavalerie... Dès que l'armée française fut
formée, la cavalerie en première ligne, l'infanterie en seconde,
entre Hallignicourt et Hoéricourt, l'action s'engagea à gauche par
échelons, le centre et la droite marchant en ligne...»
Selon
l'officier et historien Koch, c'est donc au gué d'Hallignicourt que
le passage de la Marne a été réalisé. Précision – légèrement
- erronée, car la Marne ne coule pas dans ce village, mais à
Laneuville-au-Pont. De son côté, le capitaine Charles Parquin, des
chasseurs à cheval de la Garde, penche pour le gué de Valcourt, et
le dragon Louis-Antoine Gougeat – un «pays» , puisque natif de
Larzicourt – pour celui d'Hoéricourt. Maurice-Henri Weil met tout
le monde d'accord : c'est à Hoéricourt et à Laneuville-au-Pont que
passent, d'abord les quatre divisions de la cavalerie de la Garde,
puis les dragons de Milhaud et de Treillard, puis les cuirassiers du
général de Saint-Germain et les cavaliers du général
Lefebvre-Desnouettes. Et c'est toujours à Hoëricourt que passent le
2e corps (Gérard) et le 11e corps (Molitor), Ney et la Garde devant
les suivre.
Le
champ de bataille est aujourd'hui majoritairement occupé par les
installations de la base aérienne 113. Il s'étend entre la Marne et
l'actuelle route nationale 4 (entre Vitry-le-François et
Saint-Dizier), limité à gauche par le village d'Hallignicourt, à
droite par Saint-Dizier et l'ancien site du village d'Hoëricourt
(aujourd'hui disparu).
La
bataille va s'engager. Lisons le cavalier Gougeat, du 20e dragons
(division Lhéritier, 5e corps de cavalerie), qui vient de se porter
sur Moeslains : «Ce village est situé sur une petite côte de
vignes au bas de laquelle coule la Marne. De l'autre côté est le
bourg d'Hoëricourt, avec une vaste plaine. Il est 10 h du matin, le
temps est splendide, le soleil brille d'un vif éclat. L'armée russe
évolue dans la plaine. A la vue de l'ennemi, notre armée, guidée
par des habitants du pays, traverse la Marne au gué d'Hoëricourt,
en masse et dans un ordre parfait.»
Choc
entre cosaques et dragons
Cavalier
d'ordonnance du capitaine de Marcy, le Marnais Gougeat ne prend pas
part au combat. Mais il en est un témoin privilégié, «du
haut de la petite colline de Moeslains, où je me trouvais avec
l'officier payeur du régiment. La traversée de la Marne par notre
cavalerie, dont les chevaux ne nous paraissaient pas plus gros que
des moutons au milieu de la rivière, et le choc des escadrons dans
la plaine d'Hoëricourt aux rayons d'un beau soleil qui faisait
jaillir des milliers d'étincelles des armes et des casques,
constituaient l'un des plus beaux spectacles qu'il m'ait été donné
de contempler...»
«L'on
se forma en colonne serrée par escadron, pour passer la rivière au
gué, ce qui se passa en présence de l'ennemi, témoigne le
lieutenant Charles de Sallmard de Peyrins, du 22e dragons. Le
premier escadron passé, Buonaparte passa après, l'épée à la main
à la tête de l'artillerie, qu'il dirigea lui-même pour protéger
le passage.»
Napoléon,
effectivement, dirige les opérations. Après avoir ordonné à son
artillerie, mise en batterie sur le plateau de Valcourt (Weil), de
faire feu - «mon artillerie occupait la gauche» du
dispositif, précise le major Griois -, il aurait donc pris
pied, ainsi que Sallmard le précise, sur la rive droite de la Marne.
Ce que confirme Guillaume Lecoq, maréchal des logis-chef des
grenadiers à cheval de la Garde, faisant ce jour-là fonction de
sous-officier d'ordonnance auprès du général Lefebvre-Desnouettes
: «En arrivant sur les bords de la Marne, l'empereur ordonna
que l'on passa la rivière au gué, cavalerie, infanterie et
artillerie, sous le feu de l'ennemi, ce qui fut exécuté
dans un instant. L'empereur passa lui-même au gué et sous la
mitraille de l'ennemi...»
Commandant
Weil : «Dès l'arrivée des escadrons français sur la rive droite
de la Marne, (Tettenborn) avait envoyé son aide de camp, le
capitaine von Lackmann, inviter le général Balk à lui prêter son
concours et à se porter avec lui devant les régiments de
Sébastiani. Ce mouvement offensif était d'autant plus nécessaire
que les bagages, les convois et les chevaux de main
encombraient
la route de Vitry. Balk, tout en acceptant les propositions de
Tettenborn, ne voulut, toutefois, se porter au devant de la cavalerie
française qu'après avoir essayé de l'arrêter par le tir à
mitraille de son artillerie. Continuant leur mouvement, les escadrons
français de la première ligne s'étaient déjà tellement
rapprochés des positions occupées par les Russes, que Tettenborn se
décida à se jeter sur eux sans attendre les dragons de Balk. Se
plaçant en personne à la tête des hussards d'Elisabethgrad, il
fait sonner la charge. Deux de ses régiments de cosaques, disposés
à sa droite, se dirigent contre l'extrême gauche des Français.
Deux escadrons de hussards d'Izioume prolongent la gauche de sa
première ligne. Les sept autres régiments de cosaques suivent en
deuxième ligne... Les huit escadrons de cavalerie régulière et les
deux régiments de cosaques se portent en avant avec tant de vigueur
et de rapidité qu'ils parviennent à rompre et à traverser la
première ligne de la cavalerie française et à la rejeter sur la
deuxième au moment même où l'un des régiments de la division Balk
(dragons de Saint-Pétersbourg) se dispose à les rejoindre...»
«Aussitôt
passé, l'on se chargeait réciproquement, toutes les lignes
s'ébranlaient alternativement, nous chargions, étions chargés»
(lieutenant de Sallmard).
«Le
choc fut long et rude ; mon artillerie étant placée sur les
hauteurs au pied desquelles coule la Marne, je dominais le champ de
bataille ; depuis le commencement de la guerre, je n'avais pas eu
l'occasion de voir une si nombreuse cavalerie s'entremêlant...»
(maréchal Macdonald).
Weil
: «Les cuirassiers de Saint-Germain ne se sont pas laissé
décontenancer et, dès que la première ligne, culbutée par
Tettenborn, les a démasqués, ils s'avancent tranquillement, et en
rangs serrés, contre les escadrons russes, qu'ils chassent à leur
tour devant eux et dont la retraite devient d'autant plus difficile
que les Français, se renforçant sans cesse, les chargent maintenant
de front et de flanc, et que toute la ligne française, se portant
simultanément en avant et exécutant un mouvement de conversion vers
la droite, culbute les trois autres régiments de dragons de Balk,
crève le centre de la ligne ennemie et s'empare de sept canons.»
Le
lieutenant de Sallmard fait partie de cette charge : «Notre
colonel (Note : Charles- François Adam, Lorrain de 44 ans,
fait colonel quelques jours plus tôt) seul s'était refusé à
tous les ordres, ne bougeait pas. Tous les autres régiments avaient
été ramenés. Les cosaques à portée de pistolet, nous menaçaient
de la lance. Le colonel fit faire haut les armes et feu. Les cosaques
reculent. Il profite de ce mouvement pour entamer la charge. Les
autres régiments avaient eu le temps de se remettre. Ils se portent
en avant, la déroute fut complète...»
Le
22e dragons forme brigade avec le 25e dragons, au sein de la division
Lhéritier du 5e corps de cavalerie. Voici comment l'historique du
25e, commandé par un Normand de 35 ans, Texier d'Hautefeuille,
relate ce combat : «Placé à la gauche de notre ordre de
bataille, le régiment appuie par ses charges les mouvements du
général Lefebvre-Desnouettes. Sous les yeux du duc de
Tarente, le 25e dragons, commandé par son brave colonel
d'Hautefeuille, soutint pendant plus d'une demi-heure l'effort de 3
000 hommes de cavalerie de la Garde russe. Aidé du 22e, il finit par
enfoncer la cavalerie ennemie et s'emparer de six pièces de canon.
Le lieutenant d'Inglemare et le sous-lieutenant Rigolfo sont
grièvement blessés dans cette charge ; le dragon Debruyne est tué
; plusieurs autres cavaliers du régiment sont mis hors de combat...»
La brigade était aux ordres d'un Hollandais, Jean-Antoine de
Collaert, qui, dans une note qu'il rédigera et qui sera publiée par
l'historien Arthur Chuquet, écrira qu'il «sut contenir sa
brigade dans la charge générale qui s'engagea».
La
poursuite
Weil
: «Poursuivi par la cavalerie française, exposé aux feux des
batteries de la rive gauche, séparé du reste du corps de
Winzingerode, Tettenborn se résigne à quitter le champ de bataille
et à se replier sur Vitry. Les sept régiments cosaques de sa
deuxième ligne se déploient entre la chaussée et la Marne,
retardent la poursuite des Français et atteignent sans trop de peine
le village de Perthes.
Macdonald
(…) arrêta la poursuite sur ce point et se contenta de faire
observer les cosaques par quelques escadrons. Tettenborn en profita
pour rallier son monde à Perthes. Vers le soir, il continua sans
encombre sa retraite sur Vitry et sur Marolles...»
Selon
Koch, c'est le corps du général Milhaud qui exécute le mouvement
offensif en direction de Vitry, s'emparant au passage de six pièces
de canon – celles à mettre au crédit de la brigade Collaert.
Laquelle appartient à la division Lhéritier, composée également
des 18e, 19e et 20e dragons, qui forment brigade sous les ordres du
général Auguste-Etienne-Marie Gourlez, baron de Lamotte – dont un
rapport dira qu'ils se sont «couverts de gloire» à
Saint-Dizier. Au sein de ces trois régiments, les lances des
cosaques ont causé certains dommages, notamment parmi les officiers
: le chef d'escadrons Cosnard, Normand de 45 ans, les
sous-lieutenants Gauguier, Lillois de 25 ans, Antoine Paradis, Picard
de 32 ans, touché à la jambe gauche, pour le 19e dragons ; le chef
d'escadrons Algay, Limousin de 43 ans, touché à la jambe gauche par
un coup de feu, les sous-lieutenants de Gisancourt et Sébastien
Lallemand, Franc-Comtois de 31 ans (un coup de lance au ventre), pour
le 20e dragons...
La
prise de Saint-Dizier
Weil
: «Une partie de la réserve de Winzingerode, sous les ordres du
général Orurk, avait vainement essayé de dégager les dragons de
Balk... Ces deux généraux avaient été obligés de reculer et de
venir se réformer sur une deuxième position plus en arrière. Les
dragons du général Balk s'établirent alors sur une ligne qui
courait parallèlement à la lisière Sud du bois de Maurupt et de la
forêt de Troisfontaines, entre cette lisière et les villages de
Vouillers, Saint-Eulien et Villiers-en-Lieu. La cavalerie d'Orurk
leur servait de réserve. Benkendorf, rappelé par Winzingerode avant
même d'avoir rejoint Tettenborn sur la rive gauche, avait vivement
traversé Saint-Dizier pour venir prendre position en arrière de
cette ville, sur la route de Bar-le-Duc, et garder ainsi l'unique
ligne de retraite qui restât désormais à Winzingerode. Malgré la
rapidité qu'il avait imprimée à sa marche, Benkendorf avait
d'ailleurs rencontré quelque difficulté dans l'exécution de ce
mouvement. Au sortir de Saint-Dizier, il avait donné à Bettancourt
contre un bataillon français auquel Oudinot avait fait passer la
Marne en amont de Saint-Dizier, et qu'il dut faire charger et rejeter
jusque sur les bords de la rivière. La droite de Benkendorf se
reliait à la cavalerie d'Orurk, qui s'étendait jusqu'aux marais
voisins de Villiers-en-Lieu, sa gauche était couverte par trois
régiments de cosaques sous les ordres de Norischkine et postés du
côté d'Ancerville, Bettancourt et Chancenay. Son artillerie était
en batterie sur la route même de Bar-le-Duc. Sur ces entrefaites, la
division Leval, ayant à sa tête le maréchal Oudinot, débouchait
de la forêt du Val. »
Le
comte Jean-François Leval, vieux briscard de 52 ans, commande la 7e
division de l'armée d'Espagne et des Pyrénées, dépêchée en
janvier 1814 pour rejoindre le 7e corps de la Grande- Armée. Ses
hommes sont donc des vétérans des campagnes de la péninsule. On y
retrouve un bataillon du 3e de ligne, où servent encore quelques
rescapés du 3e bataillon de volontaires nationaux de la Haute-Marne
ainsi que le père de l'illustre Louis Pasteur, le 1er bataillon du
15e (colonel Levasseur et commandant Nicolas-Philippe Gruat, un
Troyen), le 1er bataillon du 101e (régiment héritier du 1er
bataillon auxiliaire de la Haute-Marne), des éléments du 17e léger
ou du 105e de ligne, du 10e léger et du 130e de ligne, tous répartis
entre les brigades Pinoteau, Montfort, Chassé.
Les
détails manquent sur ce combat. Un témoin précieux : le peintre
Pernot. L'ennemi, racontera-t-il, «laissa un corps de cosaques
irréguliers avec quelques pièces de canon placées sur le grand
pont près le dépôt de mendicité». Le pont en question
est celui connu aujourd'hui sous le nom de Godard-Jeanson, sur la
Marne, entre le Jard et le centre hospitalier spécialisé qui
succéda au dépôt de mendicité. «Alors sortirent du bois,
qui se trouve sur la route de Wassy (Note : la forêt du
Val), un nombre immense de tirailleurs, qui se joignirent à un
petit corps qui avait été jusqu'à Joinville et qui en arrivait
dans le moment. L'ennemi tint bon pendant une heure ; ensuite il fut
obligé de céder et nos troupes rentrèrent à Saint-Dizier aux cris
mille fois répétés de Vive l'Empereur. Il était deux heures de
l'après-midi lorsque l'ennemi fut mis en déroute sur tous les
points. Ceux qui soutenaient la retraite de l'autre côté de la
Marne et ceux qui tenaient la position du grand pont furent défaits
en même temps...»
Le
témoignage de Pernot est recoupé par les recherches de Weil :
«Malgré la résistance acharnée des chasseurs à pied russes, (la
division Leval) pénétrait au pas de charge et tambour battant dans
Saint-Dizier en même temps que la Garde, qui avait suivi la grande
route, passait la Marne plus en aval et au moment où Winzingerode,
voyant son infanterie et sa ligne de retraite menacées, donnait à
sa cavalerie l'ordre de se rabattre sur sa gauche et de gagner la
route de Bar.»
La
déroute
Weil
: «Lançant la cavalerie de Milhaud, de Lhéritier, de Treilliard et
de Letort contre les régiments de Balk et d'Orurk, (Napoléon) les
culbute et les rejette dans la forêt de Troisfontaines où ils se
débandent et s'enfuient en toute hâte dans la direction de
Bar-le-Duc, pendant que, sur sa droite, la cavalerie d'Oudinot
rejoint et sabre les chasseurs russes avant qu'ils aient réussi à
gagner le bois. Heureusement pour Winzingerode, Benkendorff, posté à
son extrême gauche avait, malgré le feu meurtrier des batteries
françaises, réussi à se maintenir sur sa position, et ce fut
seulement lorsque les lanciers de la Garde eurent culbuté ses
hussards qui se dévouèrent pour sauver son artillerie,
lorsqu'Oudinot lui-même se fut mis à la tête des dragons de
Trelliard, qu'il se décida à se mettre en déroute... »
Le
2e régiment de chevau-légers lanciers de la Garde est aux ordres
du général Edouard de Colbert, et son choc contre les hussards
russes a deux témoins. D'abord le jeune chef d'escadron
Jean-François Dumonceau, 24 ans, fils d'un général belge au
service de la France, officier au sein du 5e chasseurs à cheval
(commandé par un Barisien de 46 ans, Louis Baillot) : «Je me
rappelle, entre autres, que notre brigade fut appuyée à sa droite
par un beau régiment de lanciers polonais, que nous vîmes s'avancer
déployé en ligne, dans un ordre parfait, ayant les lances baissées
en arrêt et offrant l'aspect imposant d'une calme résolution. Il y
avait en face un corps de hussards aux pelisses rouges, qui se porta
bravement à sa rencontre et parut vouloir se mesurer avec lui ;
mais, pris en flanc par nous, se mit en débandade dès le premier
choc...»
Ensuite
le capitaine Charles Parquin, des chasseurs à cheval de la Garde :
«Je marchais avec ma troupe en tête de la colonne, lorsque le
général vint me donner l'ordre de charger à outrance sur 18 pièces
que les Russes avaient établies en plein champ... Arrivé à 100 pas
des pièces, la mitraille vint tellement éclaircir les rangs de mon
escadron, que je donnai l'ordre aux deux pelotons de droite et aux
deux pelotons de gauche de se jeter en tirailleurs, laissant ainsi
derrière eux le terrain à découvert. Bientôt les lanciers rouges
de la Garde arrivèrent, chargèrent les pièces, et nous nous en
emparâmes. Une division de cuirassiers russes venue au secours de
l'artillerie se heurta contre les lanciers de la Garde qui, soutenus
à temps par les 3e et 6e dragons, sous les ordres du général
Michaut (sic) (Ndlr : Milhaud), mirent en déroute
cette grosse cavalerie, dont près de 600 restèrent en notre
pouvoir... » Le 6e dragons appartient à la 1ère division
de dragons (général Ludot, un Aubois) du 5e corps de cavalerie,
laquelle revendiquera la prise de quatorze pièces de canon.
Si
les dragons resteront dans l'Histoire comme les héros de cette
journée, la cavalerie légère n'a pas été en reste. Le 5e
chasseurs à cheval, nous l'avons vu, a pris part à la charge, au
sein de la 4e division de cavalerie légère (Jacquinot) du 6e corps
de cavalerie. Division qui réunit des éléments des 4e, 5e, 10e,
13e, 15e et 28e chasseurs à cheval, sous Ameil, des 9e
chevau-légers, 21e et 22e chasseurs, 2e, 4e et 12e hussards, sous
Wolff. Un officier du 22e chasseurs à cheval est blessé et se
distingue dans l'affaire : le capitaine Adrien-Louis-Joseph
Lestocquoy. Ancien vélite de la Garde, aide
de camp du général Montbrun en Espagne, ce Ch'ti de 28 ans était
capitaine depuis 1812. Il a été blessé à Leipzig, et Adrien
Pascal, qui présente les bulletins de la Grande Armée, écrira qu'à
Saint-Dizier, «après avoir chargé deux fois avec succès à
la tête d'un escadron du 22e chasseurs puis du 13e chasseurs, et
enveloppé un corps nombreux de hussards de la garde russe, emporté
par son bouillant courage, il se trouva encore séparé des siens, et
reçut à la joue droite un coup de sabre qui lui enleva presque
toutes les dents. A la suite de cette affaire, il fut proposé par le
général de division Jacquinot pour le grade de chef d'escadron...»
Un maréchal-des-logis-chef de ce même régiment, le Normand
Jean-Jacques Le Saché, 25 ans, est également cité pour sa conduite
à Saint-Dizier.
Pernot
: les Russes refluant en direction de Bar-le-Duc «furent
inquiétés le long de la route par de l'artillerie française mise
en embuscade dans le village de Bettancourt et dans la ferme et le
moulin de l'Allombert... Ils tirèrent à gauche de la route et
voulurent, comme les autres, se réfugier dans les bois près de
Chancenay, mais nos gens arrivèrent avant qu'ils n'y fussent cachés
et alors se livra un petit combat.»
Le
fameux «grenadier» François Pils, Alsacien de 29 ans attaché à
la personne du maréchal Oudinot, arrive à Chancenay dont
Claude-François Thomas est maire : «Le duc de Reggio prit à
sa droite dans les marais pour contourner le village (de Chancenay)
et envoya un de ses aides de
camp,
M. de Lesperets72, pour le reconnaître. Au moment où cet officier
rendait compte de sa mission, un boulet lui enleva son shako sans le
blesser. M. le maréchal, en traversant Chancenay, trouva tous les
habitants dehors réunis pour lui souhaiter la bienvenue. Voyant les
femmes qui se désolaient sur leur triste situation et sur la crainte
qu'elles avaient d'être pillées et peut-être égorgées, il
s'arrêta au milieu d'elles sans descendre de cheval et essaya de les
réconforter. Pendant ce temps, l'infanterie eut le temps de le
rejoindre. L'ennemi avait placé sa cavalerie sur les hauteurs à la
limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne. M. le
maréchal trépignait d'impatience en attendant l'arrivée de son
artillerie, lorsqu'une femme vint en pleurant lui dire que les
pillards s'étaient introduits dans l'église. Voulant s'assurer du
fait par lui-même, le duc de Reggio se dirigea de ce côté et
aperçut une cantinière et un dragon de la Garde qui s'échappaient
par le cimetière, emportant leur butin dans des mouchoirs noués ;
le dragon sauta par dessus le mur et retrouvant son cheval, part au
galop dans la direction de Saint-Dizier. Mais le maréchal transporté
d'indignation lui donna la chasse, l'atteint à une centaine de
mètres du village et lui passe son épée à travers le corps. La
cantinière fut arrêtée par les gendarmes et tous les objets furent
restitués à l'église... L'artillerie arrivée avait été placée
en batterie en dehors des maisons, les dragons reçurent l'ordre de
marcher par la droite en suivant le ravin, mais l'ennemi ne donna pas
le temps de faire feu, il descendit la colline au galop et
s'éparpilla dans la plaine où notre cavalerie le poursuivit jusqu'à
la hauteur de Saudrupt. M. le maréchal s'arrêta au coin du bois de
ce nom avec le général Exelmans et mit pied à terre. A ce moment
arriva une bordée de mitraille au milieu de l'état-major. Le coup
de tonnerre attira un grand nombre de paysans qui étaient réfugiés
dans les bois, parmi eux plusieurs étaient fermiers du duc de
Reggio... Soudain, l'empereur arriva au galop, il était absolument
seul, il allait ouvrir la bouche pour parler à M. le maréchal, un
canonnier à cheval qui se trouvait à quelques pas d'eux, fut
emporté par un boulet.»
A
Saudrupt, la courte révolte des Russes «fut sévèrement punie»
Le
capitaine Antoine de Montarby – un Haut-Marnais, puisque né en
1780 à Dampierre -, commandant la 6e compagnie du régiment des
dragons de la Garde (en 1814, y servaient aussi les officiers
haut-marnais Senet, touché à Craonne, et Fortier), notera : «Nous
reçûmes l'ordre (…) de soutenir sur la route de Bar-le-Duc le
mouvement de l'empereur. Le régiment était en colonne sur la route
et marchait à pied. L'empereur arriva et ordonna au général Letort
de se former et de jeter dans le ravin au défilé de Saudrupt tout
ce qu'il avait d'ennemis devant nous ; le général (sic) Menestrat
sur la route à la tête du 2e escadron, le 1er fut envoyé à droite
de la route, marchant en bataille, et les 3e et 4e à gauche,
marchant aussi en colonne serrée. L'ennemi canonna inutilement pour
retarder notre marche. Chaque escadron aborda franchement la
cavalerie qui était devant lui, en nombre quatre fois supérieur.
Tout fut renversé au premier choc : 2 000 chevaux ennemis furent
culbutés et menés pendant une lieu dans les reins ; deux bataillons
d'infanterie ennemie, l'un dans le bois, à droite et soutenant la
cavalerie, l'autre à gauche
de la route à l'entrée du village et en arrière d'un mur de
vignes, furent sabrés et dépassés ; plusieurs officiers allèrent
avec une quarantaine de dragons jusqu'au-dessus de la montagne de
l'autre côté du village.»
Le
major d'artillerie Griois restera admiratif du comportement de
l'arrière-garde russe : «Hors d'état de résister, ils
eurent toujours bonne contenance ; dès qu'ils trouvaient une
position avantageuse, ils s'y établissaient ; leur artillerie
faisait un feu vif et soutenu sur les troupes qui les suivaient de
plus près, et ils tenaient ainsi jusqu'à ce qu'ils vissent nos
escadrons s'ébranler pour les charger. Alors, ils se retiraient sur
une autre position où ils s'arrêtaient de nouveau. Ils parurent
vouloir opposer une résistance plus opiniâtre en avant du village
de Saudrupt situé sur la route. Des carrés d'infanterie et
plusieurs escadrons, appuyés par l'artillerie, en défendaient les
approches. On se battit vivement et le combat durait depuis quelque
temps lorsque les dragons de la Garde reçurent l'ordre de charger.
Cette charge, extrêmement brillante, eut un succès complet, malgré
les haies et les fossés derrière lesquels l'infanterie était
postée. Ce qui ne fut pas tué se rendit, et les dragons, sans
s'arrêter, poursuivirent la cavalerie qui fuyait au galop en
traversant le village, et gagnait une position au-delà d'une petite
rivière. Mais dès que l'infanterie qui venait de se rendre vit nos
dragons s'éloigner, elle reprit ses armes et tira sur eux.
On
se précipita sur cette infanterie et sa courte révolte fut
sévèrement punie. Quant aux dragons, ils revinrent sur leurs pas
parce que le jour était près de finir...»
Josef
Grabowski, aide de camp polonais de Napoléon, gardera un souvenir
particulier de la poursuite : «La cavalerie française à la
poursuite des Russes, qui avaient abandonné (des voitures
chargées de grands tonneaux, brisa ceux-ci) ; ils étaient
pleins de tabac à prise. Toute la chaussée en fut couverte. Les
caisses du trésor russe furent aussi brisées et des paquets de
billets de banque russes de différentes couleurs se répandirent
partout sur la route. Pendant plus de mille pas, nous marchions sur
le tabac et les billets de banque russes, dont les soldats français
ne soupçonnaient pas la valeur. J'essayai, mais sans y réussir, de
piquer un de ces paquets avec mon sabre ; mais je sais bien que ceux
qui purent en ramasser les vendirent fort bien à Paris... Le tabac
était tellement fort qu'il suffoqua presque ceux qui en prirent ;
les prisonniers qu'on fit passer par cette route en ramassèrent avec
grand plaisir...»
Retour
triomphal
François-Alexandre
Pernot, alors âgé de 21 ans, n'est pas seulement le fameux peintre
auquel son département d'origine rendra hommage en 2012 par une
exposition et un magnifique ouvrage. Il est ainsi un témoin fidèle
des événements («Narration des événements arrivés à Vassy,
Saint-Dizier et dans les environs pendant la guerre de 1814»,
collection Barotte, Archives départementales de la Haute-Marne) :
«L'empereur rentra à Saint-Dizier à 8 h 30 du soir. Il
faisait un temps superbe. Les troupes qui avaient été à la
poursuite de l'ennemi, restèrent bivouaquées sur la route de
Bar-le-Duc. Cette route assez droite jusqu'à Chancenay,
offrait dans ce moment-là un très beau coup d'oeil.
Les soldats avaient allumé des feux de distance en distance et,
comme la route monte, l'on apercevait de la ville toute la campagne
éclairée, et les feux qui brillaient dans l'ombre faisaient un très
bel effet. Avant de rentrer à Saint-Dizier, l'empereur traverse
cette route, où il fut salué par les soldats, assez contents de
cette journée, qui n'avançait pas beaucoup les choses...»
La
satisfaction du devoir accompli est résumée par le capitaine
Parquin : «Ce fut la dernière fois que la Garde mit le sabre
à la main contre l'ennemi ; mais cette journée était bien digne de
clore cette admirable campagne de 1814 que des tacticiens ont
comparée, pour les manoeuvres, aux campagnes d'Italie par le général
Bonaparte. Dans le compte-rendu que le général Sébastiani fit à
l'Empereur de cette journée, il s'exprima ainsi : « Il y a 20 ans,
sire, que je suis officier de cavalerie et je ne me rappelle pas
avoir jamais vu une charge plus brillante que celle qui vient d'être
exécutée par l'escadron d'avant-garde.»
«Brillant
trophée, le dernier, hélas !, de cette héroïque et fatale
campagne», notera Thiers...
Les
pertes
Au
soir du 26 mars 1814, le corps Winzingerode n'existe presque plus.
Dès le 29 mars, les journaux français annonceront 2 000
prisonniers, la prise de canons et de voitures. Ils se fondent sur un
bulletin de la Grande Armée qui revendiquait 3 000 prisonniers et 18
canons pris (le même bulletin distingue les dragons de Milhaud et la
cavalerie de la Garde comme étant les artisans du succès).
L'historien Beauchamp ne concède que «quatre ou cinq pièces de
canon» enlevées à l'ennemi ; le maréchal Macdonald évoque 3
000 chevaux perdus sur 10 000 par les Russes ; Ségur, 1 800
prisonniers, neuf canons, un équipage de pont ; le commandant Koch,
1 500 à 1 800 hommes, dont environ 500 prisonniers, neuf canons, un
équipage de pont, contre moins de 600 hommes côté français ;
Thiers, environ 4 000 hommes et 30 bouches à feu, contre 3 ou 400
Français ; pour le capitaine de Montarby, «l'ennemi a perdu
au moins 300 hommes, tant tués que blessés, 450 cavaliers pris et 1
155 hommes d'infanterie, beaucoup d'officiers...» Pour Weil
- le plus précis -, quatorze officiers et 585 chasseurs à pied
perdus, sur environ 1 500 tués, blessés et prisonniers et neuf
canons. «Cette perte du général Winzingerode avait été
prévue et était bien légère en comparaison du service qu'il nous
rendait, en retardant le retour de Napoléon», estimera le
général émigré Langeron qui ne reconnaît que cinq canons
perdus... et quelques prisonniers !
Combien
de canons tombés entre les mains françaises ? Dans sa notice
biographique consacrée au général Ludot, Courcelles (1823) dira
que la 1ère division de dragons du 5e corps prit quatorze pièces de
canon, dont trois revendiquées par le colonel Chaillot du 15e
dragons ; la charge des 22e et 25e dragons de la division Lhéritier
aurait permis d'en enlever six ; la cavalerie de la Garde, 18 –
mais ce chiffre englobe sans doute les pièces attribuées par la
division Ludot. Quoi qu'il en soit, le chiffre de neuf pièces donné
par Weil nous paraît sous-estimé.
Quelques
héros du 26 mars 1814
Qui,
l'Histoire a-t-elle retenu parmi les héros de cette journée ? Par
exemple Marie-Henry-François-Elisabeth de Carrion de Nisas, simple
dragon, malgré son
âge (47 ans), au sein du 20e régiment... mais en réalité
adjudant-commandant (colonel) ! Cet ancien officier de cavalerie du
roi, baron d'Empire, avait été mis sur la touche par Napoléon en
1813, ce qu'il explique qu'il ait souhaité reprendre du service
comme humble cavalier...
L'adjudant-commandant
Eugène-Edouard Boyer de Peireleau, 40 ans, chef d'état-major de la
division Duhesme (2e corps), promu général de brigade sur le champ
de bataille de Saint-Dizier, mais non confirmé...
Vétéran
d'Espagne, le maréchal des logis Dominique Frémaux, du 13e régiment
de dragons, originaire de Breteuil (Oise), est un autre héros de ce
26 mars 1814. Son compatriote Levavasseur rapporte : «Près de
la ville, après avoir passé le pont, que l'ennemi croyait pouvoir
défendre avec de l'artillerie, les dragons du général Lamotte
enfoncèrent et sabrèrent avec vigueur tout ce qui se présentait
devant eux. Dans cette belle charge, le brigadier (sic) de dragons
Fremaux, de Breteuil, pénétra seul au milieu des rangs ennemis sur
une batterie et eut l'audace de ramener au
trot une pièce d'artillerie, qu'il vint lui-même présenter à
l'Empereur. Napoléon ordonna immédiatement qu'on donnât à
Frémaux, comme indemnité de la valeur du canon, qui lui
appartenait, 25 louis et la croix.» Dans Le Spectateur
militaire (1865), Chénier précisera que durant l'action,
près de Valcourt, le dragon a mis en fuite les deux sous-officiers
qui escortaient la pièce, la ramena attelée de quatre chevaux avec
deux prisonniers, et que la fameuse décoration promise ne sera
reçue... qu'en 1831...
Le
jeune chef d'escadron Anatole de La Woestine, 27 ans, ancien aide de
camp du général wasseyen Defrance, se distingue encore dans la
charge de cavalerie... Venu du 22e régiment, le colonel Chaillot, du
15e dragons (division Ludot), «chargea à la tête de son
régiment une colonne de cavalerie russe, fit beaucoup de prisonniers
et prit trois pièces de canon». L'anthologie «Victoires et
conquêtes» cite encore la valeur dont a fait preuve, à
Arcis-sur-Aube et à Saint-Dizier, le capitaine
Albert-Pierre-Louis-Gabriel Lallemand, 28 ans, du 2e régiment
d'artillerie à cheval...
Napoléon
est donc vainqueur. Il sait déjà, par les prisonniers, qu'il n'a
battu qu'un corps allié. Ce qu'il ignore, en revanche, c'est que
l'affaire de Saint-Dizier est son dernier succès de sa Campagne de
France, l'avant-dernier de sa vie de grand capitaine...
Officiers
blessés à Saint-Dizier
Qui
sont les officiers victimes de ce combat ? Grâce aux travaux de
Martinien et aux dossiers de légionnaire des personnes concernées,
il est possible de les nommer :
.
au 4e dragons : sous-lieutenant Jean-François Parent, né en
1775 dans le Nord (il n'y a pas de mention de cette blessure dans son
dossier).
.
au 11e dragons : capitaine Joanet, blessé le 25 dans une
reconnaissance près de Saint-Dizier (en fait, il était
sous-lieutenant, et a été touché à Fère-Champenoise).
.
au 13e (selon Martinien) ou 18e (selon son dossier de légionnaire)
dragons : sous-lieutenant (ou lieutenant) Charles-Richard
Delapille, né en 1784 dans l’Eure, touché par un coup de
lance au bras droit, mort en 1823.
.
au 15e dragons : sous-lieutenant Estienne de Souspiron, né en
1783 à Paris, «grièvement blessé d'un coup de lance dans le
flanc gauche entre Vitry et Saint-Dizier».
.
au 16e dragons : sous-lieutenant Fournier.
.
au 18e dragons : capitaine Gaëtan Viora, né en 1786 en
Italie (blessé d'un coup de feu à la cuisse droite le 25 mars) ;
sous-lieutenant Ardouin (un capitaine François Ardouin
servait bien au 18e dragons, mais en qualité de
quartier-maître-trésorier, et aucune mention de blessure ne figure
dans son dossier de légionnaire).
.
au 19e dragons82 : chef d'escadron Pierre-Jean-René Cosnard,
né en 1769 dans l'Orne, blessé par un coup de lance ;
sous-lieutenant Charles-Séraphin-Joseph Gauguier, né à
Lille en 1789, touché par un coup de lance (chevalier de la Légion
d'honneur le 3 avril) ; sous-lieutenant Antoine Paradis, né
dans la Somme, touché à la jambe.
.
au 20e dragons : chef d'escadron Jacques-Blaise-Pierre Algay,
né en 1771 en Corrèze, touché par un coup de feu à la jambe
gauche (il sera promu major le 3 avril) ; sous-lieutenant de
Gisancourt (sans doute Amédée Berthe de Gizancourt, né en 1790
à Avesnes, dans le Nord, futur chef
d'escadron
de cuirassiers) ; sous-lieutenant Sébastien Lallemand,
Haut-Saônois de 31 ans, blessé d'un coup de lance au ventre (ou à
l'épaule selon le témoignage du cavalier Gougeat) – promu
lieutenant le 30 mars ;
.
au 22e dragons : capitaine Silvestre-Maurice de Spada, né en
1779 dans la Meuse, blessé le 26 (sic) janvier 1814 («atteint
de deux coups de feu aux reins, du côté gauche et une balle qui lui
a occasionné une forte contusion à l'épaule droite»),
fait officier de la Légion d'honneur le 3 avril.
.
au 25e dragons : capitaine Charles Molard, né en 1773 dans le
Gers (il n'y pas de mention de cette blessure dans son dossier, mais
celui-ci signale qu'il est fait officier de la Légion d'honneur le 3
avril 1814 après Saint-Dizier) ; sous-lieutenant Ricolfo ou Rigolfo
; lieutenant Stanislas d'Inglemarre (ou Dinglemarre), né
en 1790 en Seine-Inférieure.
.
au 30e dragons : lieutenant Jacques Bouillon, né en 1776 dans
les Basses-Pyrénées, membre de la Légion d’honneur depuis 1813,
mort en 1836 (blessure qui n'apparaît pas dans son dossier).
.
au 2e lanciers de la Garde : lieutenant G.-G. Buys, né en
1788 à Nimègue (Pays-Bas), qui sera fait membre de la Légion
d’honneur le 5 avril 1814 à Fontainebleau. A noter que Martinien
cite également un lieutenant Buys, du 5e lanciers, blessé le 27
janvier 1814 à Saint-Dizier ; lieutenant de Chavannes.
.
au 72e de ligne, le sous-lieutenant Saucisse.
.
dans le train d'artillerie, le sous-lieutenant Pignière.
Martinien
et les dossiers des membres de la Légion d'honneur signalent
également les blessures de plusieurs officiers, survenues à
Saint-Dizier, mais à des dates différentes de celles couramment
admises. Ont-elles été occasionnées lors d'escarmouches oubliées,
même si cela peut
paraître
improbable, ou bien s'agit-il plutôt d'erreurs de date ou de lieu ?
Difficile de trancher.
.
Duchevreuil Jacques-Antoine-Henry, né en 1786 en Normandie,
sous-lieutenant au 5e chasseurs à cheval, blessé d’un coup de feu
au bras droit et à l’épaule le 25 mars 1814.
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Fonville François, né en 1790 dans l'Ain, sous-lieutenant au
27e chasseurs à cheval, blessé le 19 (sic) mars 1814, ainsi que le
sous-lieutenant Millet, du même régiment. Selon ses états
de services, Fonville a été touché d'un coup de feu au genou
gauche à la bataille de St-Diez (sic), sans précision de date.
Rappelons que ce régiment, attaché à la division Piré, n'a pas
chargé à Saint-Dizier.
.
L’Hermitte Jacques-Joachim, né en 1781 dans la Sarthe,
lieutenant au 24e chasseurs à cheval, blessé le 17 (sic) mars 1814.
Il a reçu au total sept blessures dont une à Vandeuvre (23 février
1814) et donc le 17 mars 1814 à St Lizier (sic).
.
Migneret Nicolas, né en 1785 à Paris, sous-lieutenant au 19e
dragons, blessé le 22 janvier d'un coup de feu au bas-ventre ».