Une fois n’est pas coutume, nous allons sortir du cadre militaire de ce blog pour nous intéresser à l’industrie haut-marnaise sous l’Empire. La riche présence de forêts, de rivières et de minerai de fer a permis en effet, dès le Moyen-Age, l’émergence d’une industrie au sein de laquelle la « métallurgie » tenait une part prépondérante.
Deux documents vont nous aider à aborder modestement ce sujet : l’annuaire de 1811 du département de la Haute-Marne, et surtout un catalogue des « objets envoyés à l’exposition des produits de l’industrie française », publié en 1806.
Un chiffre évocateur révélé par l’annuaire : la présence, sur le sol haut-marnais, de 975 usines, dont 87 forges, employant un total de 4 000 ouvriers. Ce sont ces forges qui vont attirer d'abord notre attention. Parmi les usines dont les produits ont été mis en valeur par le catalogue de 1806, figurent :
. les forges de Morteau et de La Crête (canton d’Andelot). Elles appartiennent alors à Jean-François Guyenot de Chateaubourg, qui a également acquis la fonderie de Manois au début de la Révolution. Selon la notice consacrée à Morteau, « la plus petite commune de France », le haut-fourneau de ce petit village date de 1676 et cessera de fonctionner au XIXe siècle,
. les forges d’Orquevaux (canton de Saint-Blin). Les recherches de l’abbé Humblot
(« Mémoires de la société des lettres de Saint-Dizier ») précisent que M. de Broglie en était le propriétaire avant la Révolution, avant qu’elles ne passent entre les mains de Nicolas Billot qui, en 1803, les a louées à Edme Gaide et Hubert Petitjean-Roger – c’est sous l’appellation de Gaide-Roger que le catalogue de 1806 évoque l’entreprise. Au décès de Billot, elles sont vendues à Nicolas Daguin, puis en 1810 à Denis-Simon Caroillon de Vandeul (de la famille de Diderot), que nous retrouverons pas ailleurs. Les forges, qui employaient une centaine d’ouvriers au moins sous la Révolution, fermeront vers 1854. Le village accueillait également une tréfilerie.
. la forge de Rochevilliers, entre Crenay et Villiers-sur-Suize (propriétaire :
M. Robin),
. la forge de Poissons (Mollerat de Riaucourt),
. la forge de Thonnance-lès-Moulins (Mathieu-Louis-Nicolas Marquette de Fleury, né dans l’Aisne en 1748, député au Corps législatif de la Haute-Marne de l’an X à 1815. Sa famille habitait le château de Poissons avec les Mollerat de Riaucourt, son beau-frère),
. la forge de Marnaval (Leblanc, de la famille dite Leblanc de Marnaval, qui s’établira dans l’Indre),
. la forge de Bienville (Jacquot – d’abord Pierre-François, mort en 1807 à Bienville, puis ses fils Léon, Marcel, Joseph, maîtres de forge),
. la forge de Montreuil-sur-Blaise (Jean-Baptiste Adrien, de Wassy, 1766-1843, qui s’est marié en 1789 à Chaumont avec la fille du maître de forge Lessertois),
. le fourneau de Brousseval (Adrien), d’où sortent biscaïens et boulets,
. les clous de Saint-Dizier (Augustin Deschamps),
. les poêles à frire et les cuillers de Biesles (Roch Bonnore et Popin), Selon l’annuaire de 1811, l’activité occupait 300 personnes,
. les couteaux de Langres (veuve Populus et Macquart).
L’on remarquera qu’à aucun moment, dans ce catalogue, n’apparaît le nom de Nogent, qui est pourtant aujourd’hui l’un des plus importants bourgs industriels du département. Toutefois, l’annuaire de 1811 rendra justice à ses artisans en signalant que l’activité coutelière à Langres (Diderot est issu de ce milieu) et Nogent employait 2 000 personnes.
Le catalogue de 1806 vante également les qualités :
. des gants de l’entreprise chaumontaise d‘Aubry et Genuys, et des articles de bonneterie de Lecuillier et Mollot-Simonnot, dans la même ville (en 1788, à Chaumont, Nicolas Mollot, originaire de Vignory, fils d’un marchand bonnetier, épouse une demoiselle Simonnot, fille… d’un marchand bonnetier). L’annuaire de 1811 indique que la ganterie et la bonneterie, tant à Chaumont qu’à Vignory, employait
2 500 ouvriers. Chaumont deviendra une capitale internationale de la ganterie jusqu’au XXe siècle,
. des peaux de vache et de mouton de M. Hastier-Bordet, à Châteauvillain (les Hastier sont des marchands chamoiseurs de ce bourg). Aujourd’hui, la tradition perdure avec la présence de l’usine de fabrication de bottes… Le Chameau,
. des articles de la tannerie de Vieux-Moulins,
. des papeteries de Perrancey et de Saint-Ciergues,
. du verre de Rouelles. Une étude de l’historien langrois Georges Viard précise qu’à la manufacture de glaces, créée en 1759, a succédé une verrerie, propriété de Caroillon de Vandeul, qui employait environ 50 ouvriers sous l’Empire et qui disparut à la moitié du XIXe siècle,
. des toiles peintes de Giey-sur-Aujon,
. du coton d’Auberive. Selon l’annuaire de 1811, la filature employait une centaine de personnes, environ. Il s’agit d’une entreprise installée, dans l’abbaye, par Caroillon de Vandeul (encore lui !). Elle n’est plus en activité à la fin de l’Empire.
N’est pas évoquée, dans le catalogue de 1806, la fabrique de pointes et de chaînettes de Chalvraines, qui selon l’annuaire de 1811 employait la bagatelle de 480 personnes ! Nous savons peu de choses sur cette entreprise, qui produisait des clous d’épingles, en 1802. Jolibois croit savoir que les pointes réalisées étaient dites de Paris.
Si l’on ajoute les 350 employés des « chantiers » de Saint-Dizier, il apparaît donc que l’industrie occupait, en 1811, près de 9 000 personnes, dans un département comptant alors près de 237 000 habitants, soit 3,8 % de la population.
samedi 20 février 2010
jeudi 18 février 2010
Les Sirodot, deux frères artilleurs langrois
De récentes recherches nous ont permis de retrouver la trace de deux nouveaux officiers. Deux frères, d’ailleurs, les Sirodot, tous deux artilleurs, nés dans une ville qui a déjà donné naissance à de brillants serviteurs de cette arme (Aubert, Lavilette, Maillard de Liscourt, Borelly, Jayet) : Langres.
Joseph Sirodot, qui a vu le jour dans la cité épiscopale le 25 janvier 1774, et Pierre, le 21 juillet 1775, sont les fils d’un avocat langrois, Jean-Baptiste Sirodot (époux de Madeleine Roy), originaire de Bèze en Côte-d’Or.
Les deux frères servent, dès la Révolution, dans l’arme de l’artillerie. L’aîné est promu capitaine le 12 ventôse an VI (2 mars 1798) et occupe, dès 1800 au moins, la fonction de quartier-maître-trésorier du 1er bataillon de pontonniers, qui est basé à Douai (Nord) et dans lequel notamment sert le capitaine Gillet, un Vosgien qui se mariera à Andelot. C’est à Douai que Joseph Sirodot prend pour épouse, en l’an XIII, Ernestine-Alexandrine-Chrétienne Remy de Cantin. L’officier a pour témoin le futur général Armand d’Hautpoul. Il restera quartier-maître-trésorier au moins jusqu’en 1811, année où il figure parmi les membres de la Société libre d’agriculture, sciences et arts du département du Nord, à Douai. Sirodot se reconvertit ensuite dans l’intendance militaire. Chevalier de Saint-Louis (1817), membre de la Légion d’honneur, il est en poste à Vesoul puis à Perpignan (au moins jusqu’en 1835). Il revient dans le village de Bèze, commune dont il est maire et où il décède le 21 décembre 1847. Son fils Napoléon-Adolphe sera à son tour officier et épousera la fille du capitaine Berchet, de Dommarien.
Le cadet, Pierre, appartient, en 1798, à l’état-major du général d’artillerie Dulauloy, lui aussi présent à Douai. Il sert à Naples puis est situé, en 1800, capitaine en second au 3e régiment d’artillerie à pied. Aide de camp du Dulauloy, à l’armée du Hanovre, il est promu chef de bataillon, en 1803 ou 1804 : il n’a pas 30 ans. Membre de la Légion d’honneur, il est rapidement nommé à l’inspection de la manufacture d’armes de Tulle, en Corrèze. Sirodot se fera remarquer en publiant, le 1er vendémiaire an XIII (septembre 1804), un « mémoire sur les ouvriers des manufactures d’armes », dans lequel il prône l’institution d’une masse de secours en direction de ces employés. Il semble que des soucis de santé le contraignent précocement à mettre un terme à sa carrière militaire – en 1810, c’est un chef d’escadron d’artillerie à cheval, Bouchotte, qui occupe le poste d’inspecteur à Tulle.
Entretemps, le 25 octobre 1806, il se marie, à Bèze, commune d’origine de son père, avec Reine-Caroline Rochet, fille de Frédéric, maître de forges – comme de nombreux membres de la famille de celui-ci.
Sirodot s’établira lui-même à Bèze, comme maître de forges associé à Rochet. La société Sirodot-Rochet et compagnie (où l’on fabrique de la tôle d’acier) obtiendra, en 1819, une médaille d’argent. Pierre est encore en vie en 1833, au mariage de sa fille à Bèze (en présence, d’ailleurs, du Haut-Marnais Henrys-Marcilly, conseiller à la cour d’appel de Dijon), et en 1841, mais son décès n’apparaît pas dans l’état civil du village. Son épouse mourra en 1865.
Sources : état civil de Langres et de Bèze ; geneanet ; état militaire de la République française (1804) ; annuaire du département du Nord (1811) ; mémoires du général Boulart ; souvenirs d’Armand d’Hautpoul ; site Internet « Les armées de Napoléon ».
Joseph Sirodot, qui a vu le jour dans la cité épiscopale le 25 janvier 1774, et Pierre, le 21 juillet 1775, sont les fils d’un avocat langrois, Jean-Baptiste Sirodot (époux de Madeleine Roy), originaire de Bèze en Côte-d’Or.
Les deux frères servent, dès la Révolution, dans l’arme de l’artillerie. L’aîné est promu capitaine le 12 ventôse an VI (2 mars 1798) et occupe, dès 1800 au moins, la fonction de quartier-maître-trésorier du 1er bataillon de pontonniers, qui est basé à Douai (Nord) et dans lequel notamment sert le capitaine Gillet, un Vosgien qui se mariera à Andelot. C’est à Douai que Joseph Sirodot prend pour épouse, en l’an XIII, Ernestine-Alexandrine-Chrétienne Remy de Cantin. L’officier a pour témoin le futur général Armand d’Hautpoul. Il restera quartier-maître-trésorier au moins jusqu’en 1811, année où il figure parmi les membres de la Société libre d’agriculture, sciences et arts du département du Nord, à Douai. Sirodot se reconvertit ensuite dans l’intendance militaire. Chevalier de Saint-Louis (1817), membre de la Légion d’honneur, il est en poste à Vesoul puis à Perpignan (au moins jusqu’en 1835). Il revient dans le village de Bèze, commune dont il est maire et où il décède le 21 décembre 1847. Son fils Napoléon-Adolphe sera à son tour officier et épousera la fille du capitaine Berchet, de Dommarien.
Le cadet, Pierre, appartient, en 1798, à l’état-major du général d’artillerie Dulauloy, lui aussi présent à Douai. Il sert à Naples puis est situé, en 1800, capitaine en second au 3e régiment d’artillerie à pied. Aide de camp du Dulauloy, à l’armée du Hanovre, il est promu chef de bataillon, en 1803 ou 1804 : il n’a pas 30 ans. Membre de la Légion d’honneur, il est rapidement nommé à l’inspection de la manufacture d’armes de Tulle, en Corrèze. Sirodot se fera remarquer en publiant, le 1er vendémiaire an XIII (septembre 1804), un « mémoire sur les ouvriers des manufactures d’armes », dans lequel il prône l’institution d’une masse de secours en direction de ces employés. Il semble que des soucis de santé le contraignent précocement à mettre un terme à sa carrière militaire – en 1810, c’est un chef d’escadron d’artillerie à cheval, Bouchotte, qui occupe le poste d’inspecteur à Tulle.
Entretemps, le 25 octobre 1806, il se marie, à Bèze, commune d’origine de son père, avec Reine-Caroline Rochet, fille de Frédéric, maître de forges – comme de nombreux membres de la famille de celui-ci.
Sirodot s’établira lui-même à Bèze, comme maître de forges associé à Rochet. La société Sirodot-Rochet et compagnie (où l’on fabrique de la tôle d’acier) obtiendra, en 1819, une médaille d’argent. Pierre est encore en vie en 1833, au mariage de sa fille à Bèze (en présence, d’ailleurs, du Haut-Marnais Henrys-Marcilly, conseiller à la cour d’appel de Dijon), et en 1841, mais son décès n’apparaît pas dans l’état civil du village. Son épouse mourra en 1865.
Sources : état civil de Langres et de Bèze ; geneanet ; état militaire de la République française (1804) ; annuaire du département du Nord (1811) ; mémoires du général Boulart ; souvenirs d’Armand d’Hautpoul ; site Internet « Les armées de Napoléon ».
dimanche 14 février 2010
L'odyssée du chevalier Berthemy
Pierre-Augustin Berthemy est, du moins dans son département natal (aucune rue ne lui est dédiée dans sa cité de Montier-en-Der…), l’un des généraux haut-marnais les plus méconnus. Sa vie a été pourtant particulièrement riche en péripéties, l’homme se trouvant à plusieurs reprises aux premières loges de l’histoire impériale : aide de camp du général d’Hautpoul, l’un des plus fameux cavaliers de la Grande-Armée, officier d’ordonnance de Napoléon (avec l’Eclaronnais Deponthon), attaché à la personne du général Savary lors de son ambassade à Saint-Petersbourg, gouverneur du palais des princes d’Espagne, aide de camp du maréchal Murat (roi de Naples), en mission auprès du lieutenant-général russe Koutousov lors de la Campagne de Russie, et pour finir général à titre napolitain. Il y a eu pourtant plus extraordinaire dans la vie de cet « étrange personnage », ainsi que le qualifiera le célèbre historien Frédéric Masson : ce sont ces péripéties qui ont duré plus d’un an et qui l’ont conduit, alors capitaine, de Majorque à Alger… Berthemy les raconte dans ce courrier figurant dans son dossier de la Légion d’honneur.
Il a tenu en effet à rapporter « les événements (qui lui sont) arrivés depuis le 17 mai 1808, partant de Madrid comme officier d’ordonnance pour annoncer, d’après les ordres de SM L’Empereur et roi et ceux de SM le roi de Naples, alors régent du royaume d’Espagne, l’avènement au trône de SM catholique le roi d’Espagne et des Indes et donner des instructions à la flotte espagnole de Mahon. Je m’embarquai à Alicante et ayant eu les vents contraires, je fus contraint de relâcher dans l’île d’Ivica (Ndlr : Ibiza). J’arrivai le 27 mai à Palma, île de Majorque, je trouvai la population dans la révolte la plus complète et je ne dus mon salut qu’en me réfugiant au château de St-Charles. Le 1er juin, je fus transféré à celui de Bellever (Ndlr : Bellver), n’ayant de communication avec qui que ce fût. En juillet 1808, ma blessure s’étant ouverte et ma poitrine me donnant la plus vive inquiétude, je fis demander un chirurgien pour statuer sur mon état. Le rapport fut exact et la junte m’autorisa à me rendre à mes frais, en barbarie. Je quittai donc ma prison le 28 juillet et j’arrivai à Alger le 1er août 1808, après avoir traversé un convoi de 60 voiles anglaises. Le 8 du dit mois, j’en repartis sur un bâtiment marchand algérien. Et le 14, à la hauteur du golfe de Roses, un corsaire catalan armé nous prit et nous conduisit dans les cachots de cette place. Nous y restâmes jusqu’au 25 novembre 1808. Pendant ces quatre mois, nous éprouvâmes toutes les privations imaginables, ayant en outre été pillé et n’ayant aucune ressource, quoi qu’ayant journellement les fièvres. La junte de Gironne craignant la guerre avec le dey d’Alger (si ?) ne s’emparait d’un bâtiment barbaresque, nous autorisa à poursuivre notre voyage jusqu’à Marseille ; mais au vu de cette dernière ville, deux tempêtes consécutives nous rejetèrent des côtes de France à celles de Sardaigne et d’Afrique. Le bâtiment faisant beaucoup d’eau, en n’ayant que six matelots en état de faire la manœuvre, les autres ayant la fièvre, nous fûmes très heureux, après d’aussi grands dangers, d’arriver le 5 décembre 1808 au port de Bougy (Ndlr : Bougie) (Afrique), à 70 lieues à l’est d’Alger. Instruit des événements qui venaient d’avoir lieu à Alger, relativement à la personne du dey, je débarquai, je me déguisai en turc, je formai ma caravane, je traversai une partie de la montagne de l’Atlas, et après avoir couru de nouveaux dangers parmi les peuples des deux contrées, qui sont continuellement en guerre les uns contre les autres, j’arrivai à Alger, pour la seconde fois, le 15 décembre. En janvier 1809, je commençai à me rétablir et j’allais partir pour France (sic), lorsque le dey d’Alger, sur de vains prétextes, ordonna que tous les Français dans son état soient retenus prisonniers de guerre jusqu’à nouvelle décision. Nous restâmes cinq mois constamment menacés de la chaîne et des travaux et consignés aux portes de la ville. Enfin, le 21 juin dernier, nous quittâmes la Barbarie au nombre de sept bâtiments où étaient embarqués une quarantaine de Français. Un coup de vent nous dispersa et le 1er juillet dernier nous arrivâmes au nombre de trois aux atterrages de Marseille lorsqu’une frégate anglaise nous visita et nous conduisait à Mahon, sur le prétexte que les côtes de France étaient bloquées. Mais le capitaine du corsaire algérien sur lequel je m’étais embarqué, par une manœuvre hardie, quitta l’ennemi et nous conduisit finalement aux îles de Pomègue (Ndlr : Pomègues). Le 2 juillet dernier, j’entrai au Lazaret de Marseille et après une quarantaine longue et sévère, le bâtiment étant chargé de coton du Levant, je me rendis à l’armée où (Duroc), me présenta le 20 septembre dernier (à Napoléon) qui daigna m’accueillir avec bonté et me rappeler lui-même les époques des mes malheurs… »
Ce rapport, daté du 6 novembre 1809 – Berthemy réside alors au 7, rue de Lille, hôtel de l’Elysée à Paris -, et dont le destinataire nous est inconnu (Berthier ? Le ministre de la Guerre ?), appelle plusieurs commentaires et précisions.
L’officier l’a rédigé le plus souvent à la première personne du singulier. Mais parfois, il emploie la première du pluriel. C’est qu’il n’était pas seul à avoir vécu ces péripéties : l’accompagnait un homme dont le nom n’apparaît à aucun moment dans ce récit et qui deviendra illustre, puisqu’il s’agit du scientifique – et futur ministre - François Arago, un Pyrénéen alors âgé de 22 ans. Un polytechnicien qui, en outre, a consigné ce voyage dans un récit, lequel, en revanche, il cite abondamment l’officier Berthemi (sic).
Globalement, le témoignage d’Arago recoupe celui de Berthemy quant à la chronologie. Venu aux Baléares pour des raisons scientifiques, Arago avait dû, lui aussi, échapper à la population de Majorque révoltée et se réfugier à Bellver. Selon le jeune homme, c’est grâce à la complicité du gouverneur du château qu’il a pu embarquer, avec Berthemy (qu’il pense protestant, ce qui est faux, puisque Pierre-Augustin a été baptisé), sur un esquif piloté par des Majorquains, précisant que le Haut-Marnais a dû se faire passer pour son domestique afin de dissimuler sa qualité d’officier d’ordonnance de l’empereur des Français honni.
Effectivement, l’embarcation, qui a fait escale à Cabrera – bien avant d’être la prison de sinistre mémoire – est arrivée à Alger, où le consul de France a délivré aux deux hommes de faux passeports – de marchands hongrois – et d’où ils ont pu embarquer sur un navire du dey d’Alger – avec deux lions de ce dignitaire ottoman – avant d’être capturés. Arago précisera que c’est lui-même qui a pu alerter le dey de leur mésaventure, et c’est celui-ci qui a pu obtenir leur libération des pontons de Roses.
Et c’est toujours avec le savant – et non seul – que Berthemy a gagné Alger depuis Bougie, en effet déguisés pour ne pas passer pour des « roumis » et devant même se plier au rite de la prière musulmane... Enfin, si Arago et Berthemy ont été ensuite retenus à Alger, c’est que le dey qu’ils connaissaient a été massacré et que son successeur exigeait de la France le paiement d’une dette…
Reste, après ces compléments d’information, que si dans son récit Berthemy s’attribue l’ « exclusivité » de cette odyssée, il ne l’a pas moins retracée fidèlement.
Revenons à la carrière de Pierre-Augustin Berthemy, né le 16 mai 1778 à Montier-en-Der (et baptisé le lendemain), fils du perruquier Pierre Berthemy et de Marie-Anne Lurat.
Le jeune homme, qui semble avoir fait des études, s’engage le 20 décembre 1798 dans le 8e régiment de cavalerie, le seul de l’arme qui porte la cuirasse.
Deux de ses frères sont sous les armes, et mourront en campagne. Selon Paul Percheron, auteur de notes biographiques qui lui sont consacrées (déposées aux Archives départementales de la Haute-Marne), il s’agit de Joseph et Remi, morts l’un en Italie, l’autre à Turckeim. Nous n’avons retrouvé la trace que de Jean-Baptiste (sic), brigadier au 8e hussards, blessé d’un « coup de balle », mort le 22 messidor an VIII (11 juillet 1800) à Saint-Gall (Suisse).
Servant à l’armée du Rhin (1799-1801), Pierre-Augustin est promu successivement fourrier (30 mars 1800) puis, après les batailles d’Engen et Messkirch (3 et 5 mai 1800), maréchal des logis (11 mai), enfin, à titre provisoire, sous-lieutenant (14 août 1800), par le général Moreau (commandant l’armée du Rhin), sur proposition du conseil d’administration du 8e de cavalerie et en vertu des notes flatteuses du général d’Hautpoul, qui commande la division de grosse cavalerie de l’armée dont fait partie le régiment.
C’est le 12 septembre 1800 que l’officier de 22 ans est attaché comme aide de camp à la personne d’Hautpoul. Après Hohenlinden, il est confirmé sous-lieutenant le 8 février 1801.
Pour une raison que nous ignorons, le Dervois quitte le service le 24 septembre 1803, et le reprend le 3 mars 1804, toujours comme aide de camp du général. Il se bat à Austerlitz où il reçoit un coup de feu au côté gauche. Membre de la Légion d’honneur le 14 mars 1806, promu lieutenant le 5 septembre 1806, il est à nouveau blessé le 8 février 1807 à Eylau, d’un coup de biscaïen. « Bien que sa blessure soit considérée comme mortelle, il est pansé et transporté au village de Grossmurjng (sic) », écrira Paul Percheron.
Passé capitaine le 14 février 1807, Pierre-Augustin Berthemy reçoit l’insigne honneur de figurer parmi les officiers d’ordonnance de Napoléon, aux côtés de l’Eclaronnais Deponthon.
Puis le Dervois est choisi pour accompagner, avec le lieutenant de Talhouet, le général Savary dans sa mission de plénipotentiaire (entre juillet 1807 et janvier 1808) à Saint-Petersbourg.
C’est le maréchal Murat qui, en 1808, l’envoie à son tour en mission aux Baléares. Mission qui se conclut par les péripéties évoquées plus haut.
Diminué par ses blessures, par ces épreuves, promu chef d’escadron (soit en son absence, soit rétroactivement) à compter du 17 juillet 1808, Berthemy reçoit un poste un peu plus reposant : celui de gouverneur du château de Valençay (propriété du ministre Talleyrand) où sont « logés » les princes d’Espagne depuis l’avènement sur le trône de cet Etat de Joseph Bonaparte.
C’est en mars 1810 que cet officier de 32 ans entre en fonction. Selon P. Ollendorf, auteur d’un ouvrage sur les « Aventuriers politiques », c’est à la protection de généraux distingués (Savary, Duroc) que Berthemy doit cette fonction. « Sa santé s’était délabrée, ses blessures d’Austerlitz et d’Eylau s’étaient rouvertes dans la prison d’Espagne, le faisaient si affreusement souffrir que l’usage du cheval lui fut totalement défendu », écrira l’historien, qui souligne, de la part du Haut-Marnais, certes, de « nombreuses qualités », une « instruction assez soignée », mais qui « manquait de cette distinction native caractéristique de race ».Durant sa mission – « veiller à la sécurité des princes » (selon les instructions de Duroc), Berthemy « gagne l’estime des princes », offrant à Ferdinand des dessins qu’il a faits à la façon d’Isabey. Il entre dans l’Histoire en faisant arrêter un aventurier piémontais se faisant passer pour un baron irlandais, Kolli, soupçonné de vouloir enlever les princes d’Espagne. C’est le 6 avril 1810 que Berthemy annonce cette arrestation à Fouché, ministre de la Police.
Chevalier d’Empire en septembre 1810, le Dervois cesse ses fonctions en février 1811, « à la suite d’une intrigue avec Mme d’Amezaga, femme de l’écuyer du roi », précisera Percheron.
Promu major en second le 19 avril 1812, Berthemy entre, le 10 mai, au service d’un autre monarque européen : le maréchal Joachim Murat, comme aide de camp. Il prend part à ses côtés à la Campagne de Russie. Promu colonel le 4 août, le Haut-Marnais est blessé pour la troisième fois lors de la bataille de La Moskowa. Ce qui ne l’empêche pas d’être choisi pour porter à Koutousov, général en chef de l’armée russe, une lettre signée du maréchal Berthier, les 21 et 22 octobre 1812. Commandeur de la Légion d’honneur le 5 décembre 1812, Berthemy est toujours au service de Murat qui, le 5 juillet 1813, demande au général Clarke la mise en retraite de son aide de camp, officier « distingué », dont « le froid et la fatigue ont augmenté les douleurs que lui causent les blessures, de manière à ne plus lui permettre de monter à cheval ».
Non seulement Berthemy n’est pas mis en retraite, mais il est promu maréchal de camp (général de brigade) à titre napolitain le 14 décembre 1813. Fidèle à son souverain, il remplit une mission auprès de la grande-duchesse Elisa, puis signe, le 25 janvier 1814, une convention avec le général Graham, aide de camp de lord Bentinck. Contre les intérêts de l’Empire français…
Rappelé en France en juillet 1814, Berthemy va s’employer à obtenir les faveurs des Bourbon. C’est même, en décembre 1814, Kolli lui-même qui intercède en sa faveur, soulignant la « délicatesse » du Haut-Marnais !
Le 23 janvier 1815, il obtient du maréchal Soult un congé de deux mois pour « régler » des affaires à Naples. Il démissionne de ce service le 4 mars 1815, avant que Murat ne soit fusillé.
Redevenu colonel français, Berthemy sert à l’état-major royal après avoir été fait chevalier de Sant-Louis (1818). Chef d’état-major de la division de cuirassiers Roussel d’Hurbal, il prend part à l’expédition d’Espagne et est fait maréchal de camp (à titre français).
Mis en disponiblité jusqu’en 1830, il reprend du service sous Louis-Philippe et commande successivement, jusqu’en 1840, les départements des Basses-Alpes, de la Manche, de la Mayenne, de l’Aisne.
Il décède sous le Second Empire, le 31 janvier 1855. Il repose au fameux cimetière parisien du Père-Lachaise.
De son union avec Claire-Félicité-Caroline Greswold (auteur de souvenirs portant sur la Restauration – elle est qualifiée de baronne), qui a vu le jour en France en 1797 d’un père Américain, Edward Greswold, sont nés, à partir de 1822, trois enfants, dont Jules-François-Gustave (1826-1902), qui sera ministre plénipotentiaire en Chine.
Le portrait du général Berthemy figure sur le site des Amis du Père-Lachaise.
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