Durant les Cent-Jours, des corps francs destinés à combattre en cas d'invasion ont été institués par un décret de Napoléon signé le 22 avril 1815. Il précise qu'une ou plusieurs unités seront mises sur pied dans chaque département, que ses hommes ne sont tenus à aucun uniforme particulier, que «des primes seront accordées aux partisans pour les prisonniers qu'ils feront et en fonction de leur importance». Le texte ne le précise pas, mais nous savons que pour chaque prisonnier une prime de 30 F sera donnée, et de 100 à 400 F pour des officiers.
C'est le chef de bataillon bourguignon Henri Fremiet, 35 ans, qui est chargé d'organiser le corps franc de la Haute-Marne. Fils de laboureur, il est né à Messigny, en Côte-d'Or, le 8 juillet 1780. Entré en service volontairement en l'an III, il sert successivement dans la 74e demi-brigade d'infanterie de ligne, la 104e demi-brigade, le 11e régiment d'infanterie de ligne. Sergent-major, il se distingue le 22 mai 1809, et sera fait membre de la Légion d'honneur. Sous-lieutenant en 1811, lieutenant en février 1813, Fremiet est promu capitaine au 143e régiment d'infanterie de ligne en août. Aide de camp du général de la Hamelinaye, il est fait chef de bataillon sur le champ de bataille de Montereau, et blessé le 26 mars 1814. La cinquième blessure de sa carrière.
Si ses états de services précisent qu'il est affecté à l'état-major général le 5 mai 1815, nous supposons que c'est sa qualité d'officier originaire de la 18e division militaire du général Veaux, dont le siège est à Dijon, qui lui vaut sa mission haut-marnaise.
Grâce à des pièces conservées par les Archives départementales de la Haute-Marne, nous connaissons les conditions d'organisation de l'unité. C'est le 10 mai 1815 que le chef de bataillon Fremiet arrive dans le département. Autorisé à délivrer des commissions de capitaines, lieutenants et sous-lieutenants, il commence sa tournée de recrutement trois jours plus tard, tandis que le 15 mai, le maréchal Davout, ministre de la Guerre, confirme sa mission à Fremiet, qui doit lever un corps franc composé de 1 000 fantassins et 300 cavaliers, «et le commander».
Au 17 mai 1815, lui qui envisage l'organisation de trois bataillons peut d'ores et déjà annoncer 300 enrôlés. Parmi eux, 64 levés, en trois jours, à Saint-Dizier et sa région. Le même jour, Fremiet dresse un tableau des officiers destinés à encadrer l'unité : le major Guichard, de Montigny-le-Roi (chargé de la cavalerie), le chef de bataillon Martel, de Saint-Dizier, le capitaine de chasseurs à cheval Simon, de Joinville, le chef de bataillon Guignard, de Vignory (il doit commander un bataillon), le capitaine Perron (sic), de Saint-Dizier, le lieutenant Collot, de Varennes, le lieutenant Paton, de Rouécourt, le lieutenant de chasseurs à cheval Margot, de Saint-Dizier, le garde général forestier Desrues, de Saint-Dizier, son homologue Royer, de Wassy, le lieutenant de chasseurs à cheval Malot, de Joinville, le lieutenant Deschamps, de Joinville, Cousot, de Chaumont, Rabasse, de Droyes, mais encore le lieutenant de chasseurs à cheval Vautrin, de Saint-Dizier, le lieutenant de Simony, de Betoncourt...
Dans le Journal de Paris, on écrit, de Chaumont, le 3 juin 1815 : «M. le chef de bataillon Fremiet a été commissionné par SA le prince ministre de la Guerre, en qualité de chef de corps franc pour ce département. L'organisation de ce corps est très avancée ; déjà plus de 1 000 hommes en font partie, et tout porte à croire qu'il sera fort de près de 2 000 hommes. Les gardes forestiers de ce département qui formeront les compagnies d'élite sont également organisés en trois compagnies, et les officiers sont nommés... Dans un rapport du 1er de ce mois, de M. Hachette, capitaine chargé de l'organisation des corps francs dans le canton d'Auberive, on lit ce qui suit : «L'attachement de nos braves montagnards pour la personne de notre auguste Empereur est digne d'éloges, les habitants des communes d'Auberive, de Germaine et de Praslay se sont particulièrement distingués, en se faisant inscrire presqu'en totalité. Les trois bataillons de grenadiers de la garde nationale de ce département, réunis à Langres, sont maintenant armés...»
Au 10 juin 1815, confirme Fremiet, le corps franc de la Haute-Marne réunit 47 officiers et 675 enrôlés volontaires, ainsi que neuf officiers et 311 gardes forestiers. Sous-inspecteur des eaux et forêts à Châteauvillain, l'ancien officier de cavalerie Rouillier prétend les commander, mais un jugement négatif est porté sur lui. Nous noterons que sur 986 hommes (selon un autre document), seuls 458 sont armés.
Celui qui se veut également un donneur d'ordres du corps franc, c'est le nouveau préfet de la Haute-Marne, le jeune François-Marie Fargues, 30 ans, jusqu'alors sous-préfet de Melun, nommé le 1er mai 1815 en remplacement de Jerphanion, «auquel nous avons accordé une retraite» (Napoléon) – il sera encore nommé dans le département en 1830.
Le corps franc a-t-il agi contre l'ennemi ? Les documents font défaut pour l'affirmer. Nous savons que le 1er juillet 1815, le préfet Fargues enjoint le major Guichard, commandant les chasseurs volontaires à cheval, à harceler l'ennemi pour que celui-ci occupe un minimum de territoires au moment d'une suspension d'armes. Le lendemain, il informe son homologue des Vosges que le lieutenant-colonel Fremiet, «commandant les chasseurs volontaires de mon département», est autorisé à pousser des reconnaissances dans les Vosges. D'autres informations nous seront apportées par les autorités de la Restauration. Des partisans sont ainsi signalés dans les bois de Saint-Blin, fin juillet. Un «homme à cheval» armé d'une lance et d'une carabine aurait, dans le même secteur, été aperçu près de la ferme de Saint-Hubert. Près de Damrémont, des coups de fusil auraient été tirés sur des hussards hongrois, mais le maire de Bourbonne-les-Bains assure, le 11 juillet, que les chasseurs volontaires n'en seraient pas les auteurs, mais des paysans de Provenchères-sur-Meuse.
Pour clore cette évocation, signalons qu'un Haut-Marnais, Pierre-Martin Brocard, natif de Meuvy, était colonel du 1er corps franc de l'Aube, et qu'un Chaumontais, Didier, servait comme capitaine au 1er corps franc de la Côte-d'Or du fameux colonel Pelletier de Chambure. A son sujet, lire l'importante étude de Jean-Marie Thiébaud et Gérard Tissot-Robbe, «Les corps francs de 1814 et 1815. La double agonie de l'Empire» (2011).