mardi 15 février 2011

Le brave colonel Martin




Le musée municipal de Saint-Dizier nous avait aimablement autorisé à reproduire le portrait du futur colonel de cuirassiers Jean-Baptiste-Isidore Martin, pour illustrer la couverture de notre ouvrage « Grognards de Haute-Marne ». Il s’agit d’un tableau fortement inspiré d’une œuvre picturale réalisée en 1805 par Casanova, élève de l’illustre David (lequel l’aurait lui-même retouchée).
La carrière du baron Martin a été évoquée en détails par son arrière-petit-fils, Edouard Joppé, dans deux articles parus en 1908 dans le carnet de « La Sabretache ». Ils nous serviront de fil conducteur pour ce récit, que nous compléterons pas des informations recueillies par ailleurs.

«Le sept aoust 1772, par nous sousigné (sic) curé, a été baptisé Jean Baptiste Isidore né d’hier du légitime mariage de Me Joseph François Martin, lieutenant particulier des eaux et forêts de cette ville et de dame Marie Mélanie Bouland. Le parein (sic) le sieur Jean Baptiste Bouland, ayeul de l’enfant représenté par le sieur Nicolas Bouland, son fils, oncle maternel de l’enfant, la mareine (sic), dame Marie Jeanne Martin, tante paternelle de l’enfant, épouse de M. Claude Joseph Antoine du Rupt, garde du roy, qui ont signé avec nous.»
C’est en ces termes que le prêtre de l’église Notre-Dame de Saint-Dizier rédige l’acte de baptême de l’enfant. Edouard Joppé nous dira que le père (mort en 1780) était avocat en parlement, conseiller du roi, et qu’il a été lui-même militaire puisque cornette aux dragons d’Antichamp.

A la fin des années 1780, la planète connaît de profonds bouleversements. Les Etats-Unis d’Amérique obtiennent par les armes leur indépendance, les Belges se révoltent. Jean-Baptiste-Isidore Martin, alors élève au collège de Châlons-sur-Marne (aujourd’hui Châlons-en-Champagne), veut voler à leur secours. Le 5 mai 1789, avec un autre collégien, son cousin germain Boulland, 15 ans et demi (François, né le 2 juillet 1773 à Saint-Dizier, paroisse de La Noue, fils de Nicolas et de Jeanne-Agathe Boulland), il quitte clandestinement l’établissement pour se rendre, via Sainte-Menehould, jusqu’à Metz, où tous deux s’enrôlent au régiment de Dragons-Dauphin du colonel de Choiseul-Daillecourt (un noble champenois, de l’illustre famille dont le berceau se trouve dans le futur village haut-marnais de Choiseul). Un engagement qui n’est pas du goût de la veuve Martin et du sieur Boulland, qui se portent sur Metz : ils obtiennent au moins le rachat du congé du jeune François, mais non celui de Martin, qui a 16 ans révolus.
A l’été 1789, le royaume de France entre à son tour dans une période de tourmente. En août, le régiment est dirigé sur l’Artois puis la Normandie. Durant cette période, si l’on en croit Joppé, le Bragard a dû être blessé en duel puisqu’il « garda toute sa vie la cicatrice d’un coup de pointe sur la pommette droite ».

La famille Martin obtient enfin le congé du jeune homme, en janvier 1790. De retour dans sa ville natale, Isidore y fait partie de la garde nationale montée. Mais au passage du régiment Mestre-de-Camp-cavalerie, qui deviendra 24e puis 23e régiment de cavalerie, Isidore s’enrôle, le 21 février 1791. Il n’est d’ailleurs pas le seul Bragard à intégrer cette unité.
« Boulland, mon cousin germain, Briquet aîné, François Roussel, Navet cadet dit La Noue, Piat, Bourgeois, Léger, s’engagèrent en même temps que moi ». De son côté, son frère cadet, Pierre-Nicolas-Victor Martin (né le 15 juillet 1775 à Saint-Dizier, paroisse Notre-Dame, filleul de Nicolas Boulland), contracte un engagement dans les hussards des Ardennes.
A noter que le 23e régiment accueille également Antoine-Sébastien Lamoureux (en novembre 1791), né à Rozières (près de Sommevoire) en 1775, Claude-Charles Remy (en brumaire an II), né à Saint-Jean (Marne) en 1769, Charles Rougeot, de Brabant-le-Roi (Meuse)…

Rapidement sous-officier (le 2 août 1792), Jean-Baptiste-Isidore Martin est même proposé pour le grade de sous-lieutenant dès le 27 février 1793 par le général Chazot… Mais il devra patienter pour obtenir l’épaulette.
Cette année-là est marquée par un drame dans sa vie : son frère Victor, également sous-officier à l’armée du Nord, reçoit une balle dans le bas-ventre au bord de la Sambre, près de Jeumont, et expire le 14 novembre 1793, « entre les bras de son frère aîné, qui assiste impuissant à son agonie ».

Le 24 février 1794, Isidore, maréchal des logis-chef (depuis le 1er avril 1793), se distingue dans les Ardennes, au point de susciter l’admiration de la Société populaire de Mouzon : avec huit cavaliers, le Bragard s’en vient affronter 25 cavaliers et 30 fantassins. « Martin se bat contre trois, en tue deux quoique son cheval ait reçu deux coups de carabine. Il tombe enfin criblé de coups et environné de douze Autrichiens. Mais plutôt que de se rendre, il se roule du haut d’un monticule dans un bois où il reçoit encore quelques coups de carabine ».Cet acte héroïque vaudra au Bragard d’être fait sous-lieutenant (à titre provisoire) par un représentant du peuple, mais ses graves blessures le tiendront longtemps éloigné du service. Durant sa convalescence, Martin est reçu à bras ouverts, le 24 mars 1794, par la Société populaire de Saint-Dizier.

Ce n’est qu’en janvier 1795 qu’il retrouve enfin son régiment. « En raison de son instruction, il est alors attaché au service de l’état-major, et assiste ainsi au siège de Luxembourg ». Puis, le 25 août 1796, il est promu adjudant.
En 1796, il prend part, au sein de la brigade Palmarolle, aux opérations des armées de Sambre-et-Meuse et du Rhin. Le 1er août 1798, soit cinq ans après avoir été proposé une première fois à ce grade, il est enfin nommé sous-lieutenant. Brevet signé Treilhard, président du Directoire exécutif…

Dans le Nord de l’Europe, il rencontre Marie-Thérèse-Mathilde von Baerlle (ou plutôt Van Baerle), née à Strachen (sic) en Prusse le 5 février 1766, et l’épouse en Gueldre, le 4 décembre 1798. A noter cette curieuse – car plutôt rare - mention marginale sur l’acte de baptême de Martin : «Marié avec Marie Thérèse Van Baer (très certainement en Prusse) ».
Officier apprécié et respecté - il apprendra que le général Mortier, ancien chef de corps du 23e de cavalerie, souhaitait faire de lui son aide de camp – Jean-Baptiste-Isidore est, le 8 pluviôse an VIII, promu lieutenant, par la grâce du conseil du corps des officiers de son régiment. « Cet officier est fort estimé dans le corps », dit le rapport du ministre aux consuls.
Sous le Consulat, Martin prend part aux opérations du général Moreau (le 23e de cavalerie est attaché à la division Montrichard, le Bragard servant par ailleurs à l’état-major).
Après Hohenlinden, le 13 décembre 1800, dans la plaine de Phalsbourg - vers Goltz, dit Joppé -, Martin, accourant au secours du chef de brigade Noirot, reçoit deux coups de sabre (« dont il ne fut blessé que légèrement »).
Le 16 décembre 1801, il passe adjudant-major. A noter qu’en l’an XI, sont recensés, parmi les officiers du 23e de cavalerie (alors caserné à Paris et Saint-Germain-en-Laye) du chef de brigade Noirot, l’adjudant-major Martin, les sous-lieutenants Boulland et Rougeot, tous cousins (ou futurs cousins).
Puis, grâce à l’intermédiaire du général Mortier et du chef de brigade Noirot, Martin obtient de passer le 13 août 1802 comme lieutenant en premier au prestigieux régiment des chasseurs à cheval de la Garde consulaire.

Promu capitaine adjudant-major le 3 février 1804, fait membre de la Légion d’honneur le 15 juin, il se bat à Austerlitz, où meurt le colonel meusien de Morlant – dont le frère, lui-même chef d’escadron, vit à Ceffonds. Il est aussi à Iéna (1806), à Eylau (1807) : « Entre deux charges, en face des carrés russes, Martin tendait sa gourde à son chef et voisin, le général Dahlmann, lorsque celui-ci tomba atteint d’un biscaïen… Ce fut Martin qui, sur sa demande, rapporta son cœur à sa veuve», écrira Joppé. Après cette bataille, le Bragard est promu le 16 février 1807 chef d’escadron – rang de major dans la ligne, soit lieutenant-colonel – puis assiste à la bataille de Friedland, où il ne charge pas.

Pour Martin, l’année 1808 est marquée par un premier séjour en Espagne, le bénéfice d’une dotation de 2 000 F de rente sur le Mont-Napoléon, son entrée dans la noblesse impériale (il est fait chevalier le 8 septembre) et son élévation au grade d’officier de la Légion d’honneur (17 novembre). Pour l’anecdote, il sera à nouveau fait chevalier d’Empire le 15 mars 1810…
En 1809, il sert en Autriche.
En 1810 et 1810, il est de nouveau en Espagne, sous les ordres du général Dorsenne, commandant les éléments de la Garde impériale dans la péninsule. Martin opère dans les provinces de Léon et de Vieille-Castille – il a notamment sous ses ordres les fameux Mameluks. Il a l’occasion de se distinguer le 25 mars 1811, face aux troupes espagnoles du général Abadia, dont l’avant-garde « seule essaya de se défendre sur les hauteurs de San Martin de Torrès ; quelques escadrons de hussards galiciens mirent même beaucoup d’opiniâtreté à se maintenir dans cette position contre l’infanterie ; mais le chef d’escadron Martin, à la tête de quelques pelotons de chasseurs à cheval et de chevau-légers polonais de la Garde, ayant chargé avec impétuosité sur cette cavalerie ennemie, la sabra, la mit en déroute, et poursuivit les fuyards jusque au-delà de Palciros ». Ainsi ce fait d’armes est-il relaté dans la fameuse anthologie « Victoires et conquêtes ».
C’est alors qu’il apprend qu’à la date du 6 août 1811, c’est-à-dire le jour de ses 39 ans, il a été promu colonel du 6e régiment de cuirassiers. Un corps qui, coïncidence, a notamment accueilli, quelques années auparavant, des éléments de son ancien régiment, le 23e de cavalerie, à la dissolution de celui-ci.

Fin décembre 1811, Martin rejoint donc le dépôt du régiment, à Ath, et le 24 juin 1812, il passe le Niémen, à la tête de plus de 900 hommes, son régiment composant la 1ère brigade Raynaud de la 5e division de cuirassiers du général Valence, Ier corps de cavalerie du général Nansouty.
Parmi les cadres du 6e cuirs, figurent notamment un officier supérieur haut-marnais, le chef d’escadron Jean-Nicolas Habert (de Nijon), le lieutenant Eugène Payart, cousin de Martin, le capitaine Lamoureux (de Rozières), ancien du 23e de cavalerie, ou encore le maréchal des logis-chef Etienne Forgeot, d’Occey (près de Prauthoy).
Le 7 septembre 1812, c’est le grand choc entre la Grande Armée et les Russes à La Moskowa. Le 6e cuirs y perd « 22 cuirassiers tués et 28 blessés, dont deux officiers. » Trois jours plus tard, Martin écrit à sa femme que son cousin Rougeot, tout comme lui, « est aussi en bonne santé ». En revanche, son propre cousin germain, Lavocat, chef d’escadron au 9e chasseurs à cheval, a trouvé la mort lors de cette sanglante bataille. Fils de Louis et de Catherine Drone, Louis-Bruno Lavocat, né à Saint-Dizier le 24 mai 1771 (paroisse Notre-Dame), était capitaine au 9e chasseurs depuis l’an XI et avait été blessé lors de la bataille de La Piave en 1809… Charles Rougeot, né à Brabant (Meuse) en 1773, ancien sous-lieutenant au 23e de cavalerie, servait, comme Martin, dans les chasseurs à cheval de la Garde depuis septembre 1803. Blessé à Austerlitz, il était capitaine depuis le 20 août 1809 dans ce corps, et c’est la même année qu’il s’est marié à Saint-Dizier avec la fille du négociant Nicolas Boulland, devenant ainsi cousin de Martin – Rougeot, futur major de chasseurs à cheval de la ligne, mourra le 6 avril 1857 dans la cité bragarde.

Quelques jours après La Moskowa, Napoléon fait Martin baron d’Empire. Lequel perdra ces lettres patentes lors de la retraite, et en recevra de nouvelles le 3 septembre 1813, libellées depuis Dresde…
Après l’entrée dans Moscou, Martin poussera même « jusqu’à 25 lieues par-delà » cette ville, puis ce sera la retraite. Il se bat le 18 octobre 1812 à Winkowo, où est blessé de sept coups de lance (et capturé) le capitaine haut-marnais Lamoureux, puis le 21 novembre, où ses cuirassiers affrontent « 7 à 800 cosaques », près de Tolotschin.
A la constitution de l’Escadron sacré, composé d’officiers (du général au sous-lieutenant) encore montés, Martin y obtient une place de lieutenant. Son cousin Payart y sert également – François-Eugène Payart, né à Saint-Dizier le 8 juillet 1785, fils de Jacques, officier de gendarmerie, et d’Anne Boulland, sera blessé à Leipzig et à Waterloo. Membre de la Légion d’honneur, il meurt prématurément, capitaine retraité, le 19 décembre 1821, dans le quartier de La Noue…
C’est le 11 décembre 1812 que Martin et les débris de son régiment repassent le Niémen.

En 1813, c’est une nouvelle campagne, en Saxe. Son régiment, recomplété, compte encore près de 400 hommes en août 1813. Martin se bat à Wachau (octobre) et en décembre, lorsque le 6e cuirs parvient sur le Rhin, il ne dispose plus que d’un effectif de sept officiers et 66 hommes ! Ils formeront un escadron du 3e régiment provisoire de cuirassiers qui prendra part à la Campagne de France.

De son côté, le colonel Martin, qui affirmera au lieutenant Adolphe Joppé (père d’Edouard, né en 1821 à Châlons-sur-Marne, futur colonel) que sur la route de Metz et Bar-le-Duc à Saint-Dizier, il a exécuté un « coup de prime » sur le jeune Blücher, partira en mission dans les départements de l’Aisne, de la Somme et du Nord, puis amènera du grand dépôt de Versailles à la défense de Paris une petite compagnie et quelques Polonais.
Après la chute de Napoléon, Martin, resté à la tête de son régiment reconstitué, est fait chevalier de Saint-Louis le 1er novembre 1814.

Durant les Cent-Jours, le 6e cuirs, qui ne compte que 267 hommes au 19 mai 1815, est affecté à la 14e division de cavalerie Delort du 4e corps de cavalerie. Nous ne reviendrons pas sur les opérations de cette grande unité, renvoyant le lecteur aux deux articles fort documentés signés par Philippe Arnould dans la revue « Tradition magazine ».
Le 16 juin 1815, le régiment, qui a pour major Jacques-Frédéric Duvernoy (un Haut-Saônois de 49 ans), pour chefs d’escadron Philippe-Pierre Kehl (40 ans) et l’Aubois Pierre Barthélémy (42 ans, ancien du 3e hussards), charge à Ligny. « Déjà proposé en 1813 par Latour-Maubourg, Martin reçoit le lendemain la promesse du grade de général à la première occasion ».
Le 18 juin, c’est Waterloo. Vers 7 h du soir, « il ramenait pour la onzième fois ses cuirassiers à la charge quand son bras droit fut brisé par un biscaien qui, en même temps lui fracassa une côte. Tiré de la mêlée par un de ses adjudants nommé Desrues (Note : Jean-Baptiste-Philémon, né en 1783 dans l’Eure, adjudant depuis janvier 1814, membre de la Légion d’honneur), il est emmené aussitôt à Philippeville. Le lendemain, à califourchon sur une chaise, il y subit la désarticulation de l’épaule ».Pour le baron Martin, c’est la fin de la carrière militaire. Il est mis à la retraite le 1er septembre 1815 et se retire à Saint-Dizier, sa ville natale.
Certes, en 1823, on le proposera pour le grade honoraire de maréchal de camp, mais cette requête ne rencontrera pas d’écho positif.

Une nouvelle vie s’ouvre : celle d’homme politique.
D’abord adjoint au maire de Saint-Dizier, il est maire de la cité de 1830 à 1847. Par ailleurs, de 1831 à 1848, il est membre du Conseil général de la Haute-Marne.
Durant ces mandats, Martin fait preuve de sa grandeur d’âme. Il obtient ainsi, en 1834, auprès du roi Louis-Philippe et de son épouse Adélaïde, qu’une somme de 320 F soit versée à un sourd-muet, le jeune Huard, pour qu’il soit admis à l’Institution réservée à ces enfants souffrant de tels handicaps.
Un homme très attaché à Louis-Philippe. Le 14 novembre 1832, le conseil municipal de Saint-Dizier, apprenant un attentat dont a été victime le roi, adresse une lettre de fidélité au « monarque qui règne avec tant de sagesse » sur le royaume de France.
Et un homme encore attaché au souvenir de l’épopée impériale : le colonel en retraite figure parmi les souscripteurs du monument à ériger, à Bar-le-Duc, en mémoire du maréchal Oudinot, tout comme son cousin Rougeot, ou les chefs d’escadron bragards Allizé et Leblan.
Le 29 novembre 1852, il a 80 ans lorsqu’il co-signe l’acte de naissance de son arrière-petit-fils, le futur général Maurice Joppé, frère d’Edouard.
Un peu moins d’un mois plus tard, à la veille de Noël, le colonel Martin rend son dernier souffle, à 9 h, faubourg de La Noue. Il était toujours membre du conseil municipal bragard. En mention marginale, figurent curieusement ces lignes : « Un tableau le représente en tenue militaire, coiffure des chasseurs à cheval, sabre à la main, dolman recouvrant l’épaule gauche, visage barré d’une épaisse moustache. »
Dix ans plus tard, le 3 août 1862, succombe, à 96 ans, cinq mois et cinq jours, sa veuve, domiciliée Rue Grande du faubourg de La Noue (aujourd’hui avenue de la République). Décédée donc à trois jours du 90e anniversaire de son défunt époux.
Le baron Martin sera inhumé au cimetière de La Noue.

Il était le père d’Eugène-Jean-Baptiste Martin, officier de cavalerie né à Paris le 24 juin 1805. Promu lieutenant en second en 1831, il a servi au 9e de cuirassiers. Coïncidence : un des capitaines en second de ce régiment, Félix Boulland, né en 1796 à Germersheim, était un de ses cousins, puisque le fils de l’adjudant-général chef de brigade Edme-Joseph Boulland (oncle maternel d’Isidore). Eugène Martin s’est marié en 1838 avec Louise-Honorine Duchesne à Bettancourt-la-Ferrée, puis, ayant quitté la carrière militaire, il sera domicilié en 1852 au lieu-dit La Vacquerie, commune de Bettancourt, où il exercera une activité d’élevage de vaches et taureaux, et mourra à Saint-Dizier le 12 avril 1897, à presque 92 ans, alors qualifié de propriétaire dans la rue des Ecuyers.
Et le père de Thérèse-Mélanie, née le 4 vendémiaire an VIII à Saint-Dizier, qui, sous l’Empire, était élève de la maison de la Légion d’honneur à Ecouen - ses souvenirs seront publiés en 1924 par son petit-fils. Epouse (en 1822, à Saint-Dizier) d’Antoine-Paul Guillemin, de Baudrecourt, elle meurt en 1891. Remarquons donc si le baron Martin est mort octogénaire, sa veuve et deux enfants ont dépassé le cap des 90 ans !

Quant à l’arrière-petit-fils du colonel, son biographe, Edouard, né à Neuilly-sur-Seine en 1851, il était le fils du lieutenant Adolphe Joppé et de Julie-Mélanie Guillemin. Président de chambre honoraire à la cour de Douai, il est mort en 1939. Pendant la guerre de 1870, il a servi comme sous-lieutenant à l’état-major de son père, alors colonel des mobiles de l’Aveyron.

lundi 7 février 2011

"Le 14e régiment d'infanterie de ligne à la bataille d'Eylau", un article inédit de Bernard et Danielle Quintin


La défense de l'Aigle du 14e de ligne pendant la bataille d'Eylau, d'après Rousselot (reproduction parue dans l'ouvrage du Dr Hourtoulle consacré à la Campagne de Pologne).


Le couple formé par Bernard et Danielle Quintin est une référence dans le domaine de la recherche historique napoléonienne. Chercheurs rigoureux, tous deux sont les auteurs de dictionnaires biographiques qui font autorité : les colonels et capitaines de vaisseau du Premier Empire, les victimes françaises des batailles d’Austerlitz et Eylau et, prochainement, les chefs de brigade et capitaines de vaisseau du Consulat.
Membre du conseil d’administration de l’Institut Napoléon, Bernard Quintin a accepté fort aimablement de donner une conférence à l’occasion de la cérémonie d’hommage aux Haut-Marnais et Haut-Saônois tombés à Eylau, le 11 novembre 2010, dans le village de Frettes (70). Et c’est tout aussi aimablement qu’il nous a autorisé à publier, en ce jour anniversaire de l’affrontement, le contenu de son intervention sur notre blog. Une marque de confiance à laquelle nous sommes particulièrement sensible.


Le 14e régiment d’infanterie de ligne à la bataille d’Eylau

« Cette recherche concernant le 14e de ligne s’inscrit dans le cadre d’une étude portant sur les soldats de la Grande Armée tombés au champ d’honneur lors de la bataille d’Eylau et parue pour le bicentenaire de cette bataille.
Comme pour la bataille d’Austerlitz, les principales sources d’archives consultées ont été les contrôles nominatifs « officiers » et « troupes » des 103 régiments et unités formant corps ayant participé à la bataille d’Eylau et conservés à Vincennes au Service historique de la Défense, département armée de terre.
Ce sont les registres matricules du 14e de ligne qui ont été les premiers consultés à la demande d’un de mes amis, Maître Jacquot, un Haut-Marnais. Je tiens à rendre hommage à sa mémoire tout particulièrement en ce jour.
C’est en application d’un arrêté du Premier consul du 24 septembre 1803 ayant rétabli dans l’armée française le grade de colonel et la dénomination de régiment pour les demi-brigades d’infanterie que la 14e demi-brigade d’infanterie de ligne est devenue le 14e régiment d’infanterie de ligne. Il convient de rappeler que la 14e de ligne avait été créée en 1796 en regroupant la 29e demi-brigade de bataille et la demi-brigade de Seine-Inférieure. La 29e de bataille avait été formée en 1794 avec le 1er bataillon du 15e régiment d’infanterie, ex-régiment de Béarn sous l’Ancien Régime, et deux bataillons de volontaires, le 4e bataillon de la Sarthe et le 14e bataillon de fédérés. Quant à la demi-brigade de Seine-Inférieure, elle était formée du 5e bataillon de la Seine-Inférieure, du 10e du Calvados et du 10e du Pas-de-Calais.
Jacques Mazas, nommé le 5 octobre 1803, a été le premier colonel du 14e de ligne. Né en 1765 à Marseille, c’est un soldat de l’Ancien Régime ayant combattu en Amérique et ayant obtenu son congé en 1790. Il a été élu adjudant-major et capitaine au 11e bataillon de la Gironde en 1793, il obtient le grade de chef de brigade en 1795 à l’âge de 30 ans et sert à l’armée d’Italie en 1798-1801.
Le 14e de ligne comprend à sa formation trois bataillons. Selon l’état militaire de l’Empire français pour l’an XIII, publié au début de 1805, les 1er et 2e bataillons font partie de l’armée des Côtes de l’Océan destinée à envahir l’Angleterre, division du camp de Saint-Omer. Le 3e bataillon est en garnison à Maestricht, 25e division militaire. En 1805, les 1er et 2e bataillons font campagne à la division de Leblond de Saint-Hilaire, 4e corps de la Grande Armée. Ils participent à l’attaque du plateau de Pratzen lors de la bataille d’Austerlitz, le 2 décembre 1805. Le colonel Mazas est tué, son nom sera inscrit sur l’Arc de triomphe de l’Etoile, côté Est. Le 14e de ligne a à déplorer la mort de 48 sous-officiers et hommes de troupe.
Par décret du 21 décembre 1805, Charles Savary est nommé colonel du 14e de ligne ; né en 1772, originaire du département des Ardennes, il est le frère du général Savary, aide de camp de l’empereur, futur duc de Rovigo et futur ministre de la Police. Les 1er et 2e bataillons du 14e de ligne appartiennent à la division Desjardin du 7e corps de la Grande Armée et prennent part à la bataille d’Iéna le 14 octobre 1806 contre les Prussiens, six morts sont à déplorer. Le colonel Savary est blessé de deux coups de lance dont un au cœur au cours d’un combat avec des cavaliers russes le 24 décembre 1806 et meurt des suites de ses blessures à l’hôpital de Plonsk le même jour. En apprenant son décès, l’empereur dira « il était digne de commander un aussi brave régiment ». Il est remplacé à la tête du 14e de ligne par le colonel Jean-François Henriod par décret du 30 décembre 1806. Né en 1763 à La Rivière-Enverse (département du Mont-Blanc), il est entré en service comme soldat au régiment de Berwick en 1782, il est sergent en 1784 et officier en 1793. Chef de bataillon en 1794 à l’armée du Rhin puis à l’armée d’Angleterre, major du 100e régiment d’infanterie de ligne en novembre 1803, il sert à la division Gazan et se distingue particulièrement au combat de Durrenstein en novembre 1805. Prenant ses fonctions au 14e de ligne au début de 1807, il sert à la 1ère brigade aux ordres du général Binot, comprenant le 16e léger et le 14e de ligne et faisant partie de la division Desjardin. Il a sous ses ordres deux bataillons de guerre comptant au 1er février 1807 65 officiers et 1 839 sous-officiers et hommes de troupe présents sous les armes, le 1er bataillon étant commandé par le chef de bataillon Dupuy de Saint-Florent, le 2e bataillon par le chef de bataillon Daucy.
Le dimanche 8 février 1807 au matin, le 7e corps de la Grande Armée du maréchal Augereau est établi au centre du dispositif de la Grande Armée à proximité de l’église et du cimetière d’Eylau ; le 14e de ligne était placé au début de la bataille en soutien de l’artillerie à cheval de la Garde impériale en position près de l’église d’Eylau, il subit ses premières pertes lors de la canonnade déclenchée par les Russes dès le matin. Le général Binot ayant eu la tête emportée par un coup de boulet au cours de cette première phase de la bataille, Henriod assume par intérim le commandement de la brigade et Daucy celui du 14e de ligne.
L’empereur ayant décidé peu après 10 h du matin de créer une attaque de diversion sur le centre de l’armée russe pour soutenir l’action du 3e corps de Davout sur le flanc gauche de l’armée russe, ordre est donné à Augereau de lancer à l’attaque ses deux divisions d’infanterie, Desjardin et Heudelet, le 14e de ligne formant l’avant-garde de la division Desjardin.
Grâce aux rapports rédigés par le colonel Henriod, nous connaissons les épisodes marquants de ce premier acte de la tragédie d’Eylau en ce qui concerne les combattants du 14e de ligne marchant à l’ennemi sous une tempête de neige « si épaisse qu’on ne distinguait pas à deux pas » et qui aveuglait les Français. Le 14e de ligne partit à l’attaque, ayant à 200 pas sur sa gauche les 44e et 105e de ligne. Plus avancé, il se trouve plus exposé au feu d’une batterie russe de 72 canons couvrant les assaillants de mitraille et de boulets. D’après Henriod, « le régiment venait de renverser la première ligne de l’infanterie russe lorsqu’un biscaïen fracturant la partie inférieure de l’aigle du 1er bataillon la jeta sur la 5e compagnie. Le sergent-major porte-drapeau venant d’être blessé, le capitaine de la 5e compagnie confia l’aigle à un brave de sa compagnie. Le carré du 14e, immédiatement entouré sur trois de ses côtés par la cavalerie et l’infanterie russes, n’aurait pas été entamé, si des fuyards d’un autre corps n’étaient venus se réfugier dans son flanc gauche ainsi devenu accessible à l’ennemi. La mêlée devint générale et les 16e léger et 44e de ligne, déjà en retraite en ce moment, ne laissant plus de points d’appui, les officiers du 14e rallièrent les deux drapeaux sur les dernières compagnies du 2e bataillon et leur donnèrent ordre de se porter rapidement en arrière sur le 105e régiment. Les drapeaux arrivés sur le flanc droit du 105e, un coup de mitraille tua le soldat porteur de l’aigle du 1er bataillon. Un grenadier du 105e la ramassa et la remit au colonel Habert du 105e de ligne. Le capitaine Grémillon du 14e de ligne, témoin de cet accident, suivit ce grenadier et obtint du colonel Habert la restitution de cette aigle. »
Il convient d’évoquer également l’héroïque résistance des survivants du 14e de ligne, encerclés par l’infanterie et la cavalerie russes et regroupés sur une butte sous le ordres du chef de bataillon Daucy qui, ne voyant aucun moyen de les sauver, aurait confié l’aigle du 2e bataillon au capitaine Marbot, aide de camp d’Augereau, ajoutant qu’il serait trop pénible en mourant de le voir tomber aux mains de l’ennemi. Les survivants seront submergés et annihilés par une dernière attaque menée par le régiment de grenadiers de Pavlov.
Il ressort de l’analyse des contrôles nominatifs « officiers » et « troupe » que le 14e de ligne est le régiment de la Grande Armée qui a subi les pertes les plus sérieuses en vies humaines à la bataille d’Eylau.

Officiers
Le 14e de ligne a déploré la mort de 26 officiers, 24 tués et deux blessés mortellement. Ils sont tous roturiers et pour la plupart d’entre eux sortis du rang et engagés volontaires dans les premières années de la Révolution.
Ce sont, par ordre hiérarchique :
. le chef de bataillon Daucy, né en 1769 à Pouilly (Seine-Inférieure), entré en service en 1788 comme soldat au régiment de Béarn, devenu 15e régiment d’infanterie en 1791, congédié en avril 1791, engagé volontaire en juillet suivant au 1er bataillon de fédérés, chef de bataillon à la 90e demi-brigade de bataille en 1794, fait campagne aux armées du Nord et de l’Ouest et cesse ses fonctions en avril 1796. Remis en activité en qualité de chef de bataillon du 1er bataillon auxiliaire du Nord en avril 1799, il rejoint la 14e demi-brigade de ligne le 23 mai 1800. Il fait campagne à l’armée des Côtes de l’Océan puis au 4e corps de la Grande Armée en 1805 et au 7e corps de la Grande Armée en 1806-1807, commande le 14e de ligne par intérim à la bataille d’Eylau.
. huit capitaines qui sont par ordre d’ancienneté : Lespicier en décembre 1792, Guillet en avril 1798, Doucé en décembre 1798, Labille en novembre 1799, Freu en décembre 1804, Guérin en décembre 1805, Vandermaesen le 25 avril 1806 et Dauguet en mai 1806.
. sept lieutenants : Baudin et Duponchel, en 1803 ; Arnaud et François en 1804 ; Gilles, Lelong et Dupré, en 1806.
. dix sous-lieutenants, dont :
. six sortis du rang : par ordre d’ancienneté, Ménard et Varin en novembre 1803, Lehuby en mai 1804, Gachassin en décembre 1804, Gohier en avril 1805, titulaire par ailleurs d’un sabre d’honneur pour sa conduite à Marengo et membre de la Légion d’honneur, Brebion en novembre 1806.
. trois anciens élèves de l’école spéciale militaire de Fontainebleau : Gautier, élève en novembre 1803, sous-lieutenant le 20 mars 1805, Chazelles, élève en septembre 1805, sous-lieutenant le 23 septembre 1806, Pouthier, né à Besançon, élève en mai 1806, sous-lieutenant le 14 décembre 1806.
. Villot, vélite aux chasseurs à pied de la Garde impériale en 1804, nommé sous-lieutenant au 14e de ligne en avril 1806.

Sous-officiers et hommes de troupe.
Pour apprécier le nombre des pertes en vies humaines des sous-officiers (sergents-majors, sergents, caporaux, fourriers) et des hommes de troupe (grenadiers et voltigeurs des compagnies d’élite, et fusiliers), il est nécessaire de tenir compte non seulement des tués et blessés mortellement ayant fait l’objet d’un extrait d’acte de mort attesté par trois témoins, mais aussi des rayés des contrôles présumés tués ou blessés mortellement et des rayés des contrôles à la suite d’une hospitalisation pour blessures à la bataille d’Eylau, soldats n’ayant repris leurs fonctions au 14e de ligne après guérison et dont on est sans nouvelles après une longue absence.
Il faut rappeler à cet égard que les opérations d’évacuation des blessés d’Eylau ont été souvent dramatiques, en particulier lors du dernier convoi. Selon Béchet de Léocourt, alors aide de camp du maréchal Ney, commandant le 6e corps de la Grande Armée, lors de l’évacuation d’Eylau huit jours après la bataille du 8 février 1807, l’arrière-garde française rencontre peu après Eylau une grande quantité de fourgons transportant des blessés français dont les conducteurs – des paysans réquisitionnés, avaient pris la fuite. Faute de moyens de transport disponibles, la plus grande partie de ces blessés durent être abandonnés à leur triste sort.
Le bilan des pertes tenant compte de ces données est :
. de 59 sous-officiers (dont 48 tués et blessés mortellement, cinq radiés présumés morts, six radiés « disparus ») ;
. de 333 hommes de troupe (dont 139 tués et blessés mortellement, 19 radiés présumés morts, 175 radiés « disparus »).
Soit, en y ajoutant les 26 officiers tués et mortellement blessés, au total 418 victimes.
Il y a lieu de remarquer que le colonel Henriod fait état de pertes plus importantes, précisant dans son dernier rapport « dans cette bataille, le 14e a eu environ 500 tués ». Peut-on expliquer cette discordance ?
Henriod n’a-t-il pas surestimé le nombre des morts ? A-t-il tenu compte des prisonniers tombés aux mains des Russes et des détachements « égarés » ayant échappé au massacre et ayant rejoint ultérieurement le régiment ? Les contrôles troupe sont-ils à 100 % fiables ? Sûrement pas. Une recherche n’est d’ailleurs jamais terminée. Les archives nous apprennent que le 44e de ligne, autre régiment de la division Desjardin, avait prétendu que l’aigle restituée au capitaine Grémillon était en fait l’aigle du 1er bataillon du 44e de ligne perdue au cours de la bataille d’Eylau et que le maréchal Berthier, major général de la Grande Armée, avait transmis cette réclamation au colonel Henriod pour enquête et compte-rendu. Dans les rapports sur le sujet adressés à l’empereur et à Berthier, Henriod ne manque pas de mettre l’accent sur les pertes considérables subies par le 14e de ligne – 590 tués dans un premier temps, environ 500 tués dans un second rapport – auxquels il faut ajouter 700 blessés. « Dans cette mémorable journée, le régiment a fait les plus grands efforts de courage et a conservé sa réputation. Les officiers, sous-officiers et soldats se sont tous distingués et tous auraient préféré la mort au malheur de perdre les aigles que leur avait confiées Sa Majesté et qui ont été sauvées dans cette circonstance sévère ». En fin de compte, Henriod sut convaincre et le 1er bataillon du 14e de ligne conserve l’aigle récupérée par le capitaine Grémillon.
Quel que soit le nombre exact de ses morts à Eylau, il n’en reste pas moins que le 14e de ligne est le régiment de la Grande Armée ayant eu les plus lourdes pertes à Eylau mais il faut aussi signaler qu’il n’a pas été anéanti. A l’appel du 10 février 1807, surlendemain de la bataille, il compte 14 officiers et 497 sous-officiers et soldats présents sous les armes et à celui du 13 février, 18 officiers et 523 sous-officiers et soldats. Après la dissolution du 7e corps de la Grande Armée le 20 février 1807, le 14e de ligne est affecté à la division Leblond de Saint-Hilaire du 4e corps de la Grande Armée commandé par le maréchal Soult. Il compte au 1er juin 1807 60 officiers et 1 011 sous-officiers et soldats présents sous les armes. Il prend part le 10 juin 1807 à la bataille d’Heilsberg et compte un officier tué, dix sous-officiers et 43 hommes de troupe tués ou mortellement blessés. Le colonel Henriod est blessé à la cuisse par un boulet de canon à Heilsberg. Il est promu au grade de général de brigade le 3 juillet 1810 et mis à la retraite en octobre 1815. Il meurt à Neris-les-Bains (Allier) le 20 juin 1825.
Le chef de bataillon Dupuy de Saint-Florent, blessé à la bataille d’Eylau, est nommé colonel pour remplir les fonctions de commandant d’armes le 20 février 1807, général de brigade à l’armée de Lyon le 21 janvier 1814, mis en non activité en septembre 1815 et retraité en 1825, mort à Limoges le 7 septembre 1838. »



En guise de complément : l’ouvrage de référence sur ce sujet est « La tragédie d’Eylau, 7 et 8 février 1807. Dictionnaire biographique des officiers, sous-officiers et soldats tués ou blessés mortellement au combat », Danielle et Bernard Quintin, Histoire & Culture, 2007.
Le couple a identifié 106 sous-officiers et hommes de troupe haut-marnais tombés lors de cette bataille, la quasi-totalité servant au 14e de ligne. Parmi eux : Nicolas Labreuvois, de Flammerécourt, fils d’un de nos ancêtres directs maternels.
Selon nos estimations, entre l’an XIII de la République et 1809, le 14e de ligne, dont le dépôt était à Sedan (Ardennes), a accueilli au moins 2 300 conscrits originaires du département de la Haute-Marne, où était implanté le détachement de recrutement du régiment, commandé successivement par les capitaines Montbailliard, Poinchevalle et Hannier.
Signalons par ailleurs : que le soldat Nicolas Arnout, de Rançonnières, futur sous-lieutenant, a reçu à Eylau 17 coups de baïonnette et a été fait prisonnier ; que Pierre Fauvé, de Lamothe-en-Blaisy, futur lieutenant, a été blessé durant la bataille ; que Benigne Gachet, de Luzy-sur-Marne, futur lieutenant, y a été fait prisonnier ; que le capitaine Charles Huot, né en 1749 en Seine-et-Marne, commandant de la 8e compagnie de fusiliers du III/14e de ligne, blessé à Kolozomb (décembre 1806), était certainement le doyen des officiers du régiment – à 58 ans – avant d’être mis à la retraite au printemps 1808 et de se retirer à Bourbonne-les-Bains ; qu’un autre officier haut-marnais, Louis-Honoré Pellier, né à Saint-Dizier en 1773, lieutenant au 14e (et futur capitaine), a été blessé à Eylau.

jeudi 27 janvier 2011

Les aides de camp haut-marnais


Un aide de camp sous l'Empire (avec l'aimable autorisation de Jérôme Croyet).

Aide de camp. Sous l’Empire, une fonction prestigieuse et non dépourvue de dangers. Pour résumer : elle constitue la première courroie de transmission entre un général ou un maréchal auquel cet officier est attaché et son environnement, c’est-à-dire avec un supérieur hiérarchique ou avec ses troupes. Reconnaissables à leur brassard, les aides de camp parcouraient inlassablement le champ de bataille, généralement porteurs d’un ordre écrit ou oral, parfois derniers remparts entre leur protecteur et l’ennemi. Les plus grands mémorialistes du Premier Empire ont rempli la fonction d’aide de camp : Marbot – du maréchal Augereau ; Gonneville – du général Rioult d’Avenay ; Ségur – de Napoléon lui-même…
Aucun Haut-Marnais n’a été l’aide de camp de l’empereur – même si deux, Deponthon et Berthemy, ont été ses officiers d’ordonnance. Toutefois, nous avons identifié 31 officiers nés ou domiciliés dans le département ayant rempli cette fonction auprès d’un maréchal, d’un général de division ou de brigade. Ils méritaient bien ce rapide hommage.

En précisant d’abord que huit d’entre eux – plus du quart ! - ont servi des maréchaux d’Empire. Et, parfois, non des moindres. Ainsi, le Dervois Pierre-Augustin Berthemy a-t-il été celui, comme colonel, de Joachim Murat, roi de Naples – qui en fera d’ailleurs un de ses généraux. Mais nous citerons aussi les Chaumontais Christophe Laloy, aide de camp du maréchal Davout de 1812 à 1815, et Charles Denys de Damrémont, celui du maréchal Marmont (presque un voisin, puisque natif de Châtillon-sur-Seine) de 1811 à 1813. Moncey s’attacha les services du gendarme fronclois Henry Doré de Brouville, sans doute dès 1808 (officieusement) en Espagne, puis officiellement en 1810, et ceux de son propre frère, le chef d’escadron Claude-François Jannot de Moncey, ancien maire de Longeville-sur-la-Laines. Etienne Martin (de Beurnonville), de Laferté-sur-Aube, a été l’aide de camp de Macdonald. Quant au maréchal Kellermann, duc de Valmy, il a été servi successivement par les capitaines Philippe-Henri Richard de Cendrecourt, de Pouilly-sur-Meuse, et Symon de Latreiche, de Bourmont.

Difficile de savoir précisément pour quelle raison tel officier a été attaché à la personne d’un maréchal ou d’un général. On peut penser – même si rien ne confirme cette hypothèse – que la même origine géographique n’est peut-être pas étrangère au choix du lieutenant chaumontais Denys de Damrémont comme aide de camp du général wasseyen Defrance. En revanche, il est indéniable que les liens familiaux expliquent l’attachement du capitaine Charles-Armand de Failly au général d’Anthouard (c’est son cousin), ou celui du capitaine Henry Guillaume au général Curial – celui-ci est le gendre du futur ministre Beugnot, auquel les Guillaume sont apparentés (à noter par ailleurs que Curial a été servi par le Bragard Le Petit de Brauvilliers). Quant à Martin (de Beurnonville), d’être le neveu maternel du général de Beurnonville n’a sans doute pas constitué un obstacle à son attachement au futur maréchal Macdonald. Reste, pour les autres, certainement ce motif : les valeurs militaires et humaines. Cinq (Cournault, d’Esclaibes d’Hust, Lavilette, Pierre-Victor Huot, Plivard) sont ainsi polytechniciens, tandis que sept ont été formés par l’école spéciale militaire de Fontainebleau puis Saint-Cyr. On peut également souligner l’origine sociale de ces aides de camp : treize sur 31 sont issus de la noblesse d’Ancien régime, or l’on sait que plusieurs maréchaux étaient sensibles au prestige du nom. A l’inverse, Berthemy est fils de perruquier, Jobert d’un recteur d’école.
On retiendra également que la fonction d’aide de camp n’éloigne pas du danger, bien au contraire. Si aucun Haut-Marnais ne trouve la mort sur un champ de bataille, plusieurs seront blessés dans l’exercice de leurs fonctions. Berthemy : à Austerlitz, Eylau et La Moskowa. Marc-Pierre Huot de Goncourt : à La Moskowa. Laloy : dans une île du Danemark. Lemoyne : à Ulm et Austerlitz.
A contrario, l’Histoire retiendra – à tort ou à raison - deux noms de Haut-Marnais comme les symboles de l’infamie lors des événements d’avril 1814 : Cendrecourt, aide de camp du général Marulaz, qui aurait adressé des signaux à l’ennemi lors du blocus de Besançon, et Denys de Damrémont, qui signa la capitulation du 6e corps.

A noter encore que, parmi les aides de camp haut-marnais, deux frères ont rempli cette fonction : Marc-Pierre et Pierre-Victor Huot de Goncourt, de Bourmont, le premier attaché au général Roussel d’Hurbal à 25 ans, le second au général Pouget.
Que le bourg de Bourmont (tout comme Langres) est le lieu de naissance de trois aides de camp, que Chaumont a été la patrie de cinq titulaires de cette fonction, et que chacun des petits villages d’Aprey et de Pouilly-sur-Meuse en a vu naître deux.
Que sept aides de camp sur 31 viennent de l’arme de l’artillerie.
Que l’officier parvenu le plus âgé à cette fonction est Baptault (41 ans), le plus jeune Martin de Beurnonville (20 ans).
Que Denys de Damrémont a pratiquement traversé tout l’Empire en qualité aide de camp (de 1807 à 1814).
Et qu’enfin cette fonction a, pour plus de la moitié d’entre eux, marqué une étape importante, si ce n’est déterminante, dans la carrière militaire : avant la fin de l’Empire, Berthemy sera général (napolitain), Denys, Lemoyne et Martin, colonels, Baptault, Cournault, Doré de Brouville, d’Esclaibes d’Hust, de Failly, Guillaume, Marc-Pierre Huot de Goncourt, Jannot de Moncey, Laloy, Maillard de Liscourt, de Montarby, Popon, Symon de Latreiche, majors, chefs de bataillon ou d’escadron.

Les aides de camp haut-marnais

Baptault Nicolas-Denis, né en Saône-et-Loire en 1769, membre de la Légion d’honneur, capitaine au 12e léger, aide de camp du général Offenstein (1810), qui commande le département de la Haute-Marne. Sera colonel du 1er régiment de la Haute-Marne (1813-1814). Etabli ensuite à Chaumont où il meurt.
Berthemy Pierre-Augustin, né à Montier-en-Der en 1778, sous-lieutenant au 8e de cavalerie (1801), aide de camp du général d’Hautpoul, blessé à Austerlitz, à Eylau. Capitaine (1807), officier d’ordonnance de Napoléon (1807-1810). Major, aide de camp du maréchal Murat (1812). Colonel (1812), blessé à La Moskowa, puis maréchal de camp napolitain (1813).
Berthel Jean, né à Goncourt en 1774, capitaine au 105e de ligne, aide de camp lui aussi du général Offenstein (février 1814).
Cournault Henry, né à Langres en 1783, capitaine du génie, aide de camp du général Kirgener (1811-1813), jusqu’à la mort de celui-ci. Sera colonel.
Doré de Brouville Henry, né à Buxières-lès-Froncles en 1774, capitaine de gendarmerie, aide de camp du maréchal Moncey (1810). Sera chef d’escadron – et major à titre provisoire - au 4e régiment de gardes d’honneur.
Cendrecourt (Richard de) Philippe-Henri, né à Pouilly-sur-Meuse en 1772, lieutenant, aide de camp du maréchal Kellermann (an XIV). Capitaine, aide de camp du général Marulaz (1809). Considéré comme « le » traître de la place de Besançon (1814).
Denys (de Damrémont) Charles, né à Chaumont en 1783, lieutenant, aide de camp du général Defrance, en 1807, puis à partir de la même année du maréchal Marmont auquel il sera attaché jusqu’au grade de colonel (1813) et à la capitulation de Paris. Tué comme général en Algérie.
Esclaibes d’Hust Louis-Auguste, né à Echenay en 1783, lieutenant d’artillerie, aide de camp du général Vallée (1809) en Espagne. Sera chef d’escadron, puis colonel en Algérie.
Failly (de) Charles-Armand, né dans la Meuse en 1780, Bragard par son mariage, capitaine d’artillerie, aide de camp du général d’Anthouard (1811), son cousin. Futur député de la Haute-Marne.
Germay (de) Louis-Jean, originaire de Suzannecourt, lieutenant d’infanterie, aide de camp du général Menard (1813), puis capitaine.
Guerin Claude-Joseph, né à Morlaix (Finistère) en 1788, domicilié à Saint-Dizier, rejoint le général Pelletier (dont il serait le cousin) en Pologne. Lieutenant, aide de camp de Pelletier en Russie, et durant les Cent-Jours (comme capitaine).
Guillaume Henry, né à Chaumont en 1786, capitaine de cavalerie, aide de camp du général Curial (1809). Sera major de dragons puis de cuirassiers.
Huin Martin-Hyacinthe, né à Andelot en 1778, capitaine, aide de camp du général Thévenot (février 1814) dont il connaissait la famille.
Huot de Goncourt Marc-Pierre, né à Bourmont en 1787, capitaine d’infanterie, aide de camp du général de cavalerie Roussel d’Hurbal de 1812 à 1815. Promu entre-temps chef d’escadron. Blessé à La Moskowa. Père des frères Goncourt.
Huot Pierre-Victor, né à Bourmont en 1783, frère du précédent, capitaine d’artillerie, bref aide de camp du général Pouget (1809). Quittera l’armée en 1811.
Jobert Etienne-Nicolas, né à Pressigny en 1778, capitaine d’infanterie retraité, commissionné aide de camp début 1814 (nous ignorons auprès de quel officier il était attaché).
Laloy Pierre-François-Christophe, né à Chaumont en 1786, fils de député régicide, sous-lieutenant d’infanterie, attaché au général Fririon en 1808, blessé dans une île du Danemark la même année, aide de camp du général d’Hastrel (1809) puis, capitaine, aide de camp du maréchal Davout (1812-1815). Entre-temps promu chef de bataillon.
Lavilette Claude-Etienne, né à Langres en 1779, sous-lieutenant d’artillerie, aide de camp du général Lariboisière, en 1806. Meurt en Russie comme capitaine de l’artillerie de la Garde.
Lemoyne Hilaire, né à Chaumont en 1771, officier de cavalerie, aide de camp de plusieurs généraux sous la Révolution. Chef d’escadron, aide de camp du général Bourcier, blessé à Ulm et Austerlitz. Sera colonel de chasseurs à cheval.
Le Petit de Brauvilliers Jules, né à Saint-Dizier en 1791, lieutenant, aide de camp du général Curial (1813), puis capitaine, aide de camp du général Briche (février 1815). Sera chef d’escadron sous la Restauration.
Leveling Hartman, né à Coblentz en 1787, capitaine, aide de camp du général Beurmann, en 1813. Vivra à Bourbonne-les-Bains.
Loyal Antoine, né à Aprey en 1775, capitaine d’infanterie, aide de camp du général Gruardet, en 1813.
Maillard de Liscourt Louis-Edouard, né à Langres en 1778, lieutenant en second d’artillerie (1804), aide de camp du général Faultrier, futur major (1813).
Martin (de Beurnonville) Etienne, né à Laferté-sur-Aube en 1789, lieutenant d’infanterie, aide de camp du général Macdonald (1809-1813), puis capitaine (1810). Sera promu colonel d’infanterie en 1813 à 24 ans, puis général sous la Restauration.
Moncey (Jannot de) Claude-François, né à Besançon en 1752, domicilié à Longeville-sur-la-Laines, chef d’escadron de gendarmerie, aide de camp de son frère le maréchal (an X).
Montarby (de) Jean-Antoine, né à Dampierre en 1780, lieutenant de cavalerie, aide de camp du général Maupetit (1807). Sera capitaine (rang de chef d’escadrons) de dragons de la Garde.
Ollivier Jean-Baptiste-Victor, né à Aprey en 1790, lieutenant du génie, aide de camp du général Sarrut en Espagne. Terminera sa carrière comme colonel.
Plivard Jean-Baptiste, né à Langres en 1789, capitaine d’artillerie, aide de camp du général Tirlet, en 1814.
Popon Jean-Mathurin, né à Paris en 1781, officier d’infanterie, capitaine, aide de camp d’un général (non identifié), en 1813. Sera chef de bataillon et vivra à Nogent puis à Meuvy.
Ruaut Joseph-Antoine, originaire de Pouilly-en-Bassigny, capitaine (1814), aide de camp du général Picard, en 1815.
Symon de Latreiche Charles-Guillaume-Fortuné, né à Bourmont en 1774, capitaine, aide de camp du maréchal Kellermann, en 1808. Servira plus tard dans l’entourage du maréchal Berthier puis dans l’état-major du maréchal Marmont, comme chef de bataillon (et peut-être comme major).

mercredi 12 janvier 2011

De Paris à Vienne dans la voiture de Metternich



Un officier de gardes d'honneur italiens, tel que pouvait apparaître le capitaine Doré de Brouville. Origine de l'image : "Carnet de La Sabretache", 1902.

Printemps 1809. Metternich, alors ambassadeur de l’empire d’Autriche à Paris, est dans l’œil du cyclone. Napoléon l’accuse d’avoir joué un rôle non négligeable dans l’éclatement du conflit entre les deux empires.
Selon Fouché, ministre de la Police, Napoléon aurait ordonné l’enlèvement du jeune ambassadeur de 34 ans. Le ministre assure, dans ses mémoires : « Révolté de ce traitement inouï, je pris sur moi d’en atténuer les formes… Ayant demandé au maréchal Moncey un capitaine de gendarmerie qui sût tempérer par l’aménité et la politesse de ses manières ce que ma mission avait d’outrageant, je lui commandai de monter dans la chaise de poste de l’avant… » Ce n’est finalement pas sur un capitaine que va se porter le choix de Moncey, inspecteur général de la gendarmerie, mais sur un lieutenant. En outre, un officier « perdu » dans les montagnes du Doubs, en poste à Pontarlier, au sein de la compagnie de gendarmerie départementale : Henry Doré de Brouville, natif de Buxières-lès-Froncles.
Pour Jannot de Moncey, dont un frère, Claude-François, officier de gendarmerie lui-même, vit en Haute-Marne, Doré de Brouville n’est toutefois pas un inconnu : il vient de servir sous ses ordres, en Espagne, avec le 3e corps, et il a été blessé de deux coups de feu à la tête et d’un coup de sabre au bras droit le 2 mai 1808, lors de la fameuse révolte du « Dos de mayo » à Madrid. Le maréchal franc-comtois – il est né dans le Doubs, là où Brouville est en poste – n’a d’ailleurs pas tari d’éloges sur la conduite de cet officier subalterne, louant son « intrépidité ». Un lieutenant d’ailleurs fait, dans la foulée, chevalier de la Légion d’honneur le 10 mai 1808 (curieusement, il sera encore nommé dans cet ordre le 23 août de la même année, « sur une autre proposition pour une action différente »).
C’est donc le 26 mai 1809, soit quelques jours après la bataille d’Essling, qu’a lieu le départ de Metternich, entre-temps retenu à Paris en raison d’une ophtalmie, et de Brouville. Un rapport de police note que l’ambassadeur est monté à 4 h 15 avec l’officier de gendarmerie, en présence d’une soixantaine de « curieux » rassemblés rue de la Grange-Batelière, à Paris.
Un autre rapport précise que « le comte de Metternich est parti accompagné du lieutenant de gendarmerie Brouville, qui répond de sa personne, et est chargé de l’accompagner jusqu’au grand quartier général impérial ». Le convoi est composé de cinq voitures, attelées chacune de quatre chevaux de poste : une pour l’ambassadeur autrichien, une pour le prince Esterhazy, une pour le comte d’Ega, et deux pour les bagages.
Le trajet emprunté par le convoi semble être le suivant : Châlons-sur-Marne, Lunéville, Strasbourg (où l’ambassadeur est reçu par l’impératrice Joséphine), enfin Vienne où il arrive le 5 juin 1809. Ce que confirme un bulletin daté du 9 : « M. de Metternich est arrivé à Vienne. Il va être échangé aux avant-postes avec la légation française, à qui les Autrichiens avaient refusé des passeports, et qu’ils avaient emmenés à Pesth ». Cette légation, en l’occurrence, consiste surtout en M. Dodun, premier secrétaire d’ambassade à Vienne.
Parvenu en Autriche, Metternich décide de se rendre à Grünberg, maison de famille de sa mère. L’ambassadeur indique dans ses mémoires : « Dans la matinée du 8, je me rendis à la résidence que j’avais choisie. J’offris à l’officier de gendarmerie qui m’avait accompagné depuis le départ de Paris de venir demeurer avec moi au Grünberg, et comme je ne voulais pas faire partager ma fâcheuse position au personnel de l’ambassade, je n’emmenai que les gens qu’il me fallait pour mon service… » Une « prison » dorée au sein de laquelle Brouville va occuper la fonction de « geôlier », selon le mot employé par l’ambassadeur.
L’échange devait avoir lieu le 1er juillet 1809, mais il ne peut être conclu. Il paraît finalement intervenir deux jours avant Wagram.
La mission de Brouville s’achève. Quel dommage que l’officier n’ait pas laissé – du moins ne sont-ils pas parvenus à notre connaissance – des souvenirs dans lesquels il aurait relaté ce voyage en compagnie d’un futur grand diplomate européen…

Début de carrière « révolutionnaire » pour un enfant de la noblesse
Né et baptisé le 6 février 1774 à Buxières-lès-Froncles (aujourd’hui commune de Froncles), dans la vallée de la Marne, entre Joinville et Chaumont, il est le fils d’Henry Doré de Brouville, capitaine de milice au régiment de Troyes, et de Marie-Reine Gattrez. Le nouveau-né est issu d’une noble famille de lointaine origine lorraine. Mais son père est né à Bienville, près de Saint-Dizier.
La carrière d’Henry « fils » commence en septembre 1791, à la faveur de la Révolution : il a 17 ans lorsqu’il s’enrôle, comme grenadier, dans le 1er bataillon de volontaires nationaux de la Haute-Marne, dont son père est, à 51 ans, lieutenant-colonel en premier. Un cousin germain, également prénommé Henry, lui-même fils d’un officier domicilié à Buxières (le lieutenant Pierre-Eugène Doré de Brouville, devenu maréchal des logis de gendarmerie), les accompagne.
Ce bataillon que nous avons déjà évoqué – c’est celui des cousins Gardel et Jacquot, de Sommancourt, près de Wassy, futurs capitaines du 34e de ligne - sert d’abord dans les Ardennes. La compagnie de grenadiers du capitaine langrois Jacquot en est rapidement détachée, et elle prend part à l’affaire de Valmy, puis à la bataille de Neerwinden. Caporal le 1er janvier 1793, le jeune Doré de Brouville est « blessé dangereusement d’un coup de sabre à la poitrine » le 25 mars, à Tirlemont.
Le 16 avril 1794, le 1er bataillon de la Haute-Marne est versé, dans le cadre de l’Amalgame, dans la 85e demi-brigade de bataille, dont le lieutenant-colonel Doré de Brouville hérite du commandement comme chef de brigade. Ses deux parents le suivent : son fils, passé caporal fourrier en septembre 1793, et son neveu qui, sergent (dans la 6e compagnie du 3e bataillon) depuis février 1794, est mortellement blessé le 15 mai 1794 en forêt de Léchelles.
Durant les campagnes de l’armée de Sambre-et-Meuse, Henry « fils » est promu officier, à 21 ans : il est sous-lieutenant quartier-maître, le 5 mai 1795, puis passe, après un second amalgame, dans la 34e demi-brigade d’infanterie de ligne, toujours commandée par son père. Ayant servi dans l’Ouest de 1795 à 1797, il rejoint les rangs de la gendarmerie en 1801. Une affectation qui survient quelques mois après le décès, à Vesoul, de son père, chef de brigade de gendarmerie, qui, un temps, a occupé le poste de commandant militaire de la place du Mans, dans la Sarthe.
En l’an X, Brouville est donc situé comme quartier-maître sous-lieutenant à Vesoul, dans la 20e légion de gendarmerie, puis affecté quelques années plus tard à Pontarlier. Après la Campagne d’Espagne avec le 3e corps, le voilà désigné pour une mission bien particulière, en mai 1809…
Quelques mois plus tard, le 18 février 1810, Henry Doré de Brouville est nommé capitaine aide de camp du maréchal Moncey. Le 5 septembre 1812, tout en conservant cette fonction – qu’il partage d’ailleurs avec le frère du maréchal, le colonel Moncey - il reçoit un poste prestigieux : celui de commandant de la compagnie de gardes d’honneur (à cheval) d’Elisa Bonaparte, grande duchesse de Toscane, à Florence, à la suite du capitaine Martelli – Brouville reçoit l’ordre d’attendre cette compagnie à Augsbourg, lors de son départ pour la Grande Armée. Avec cette unité, placée à la suite des grenadiers à cheval de la Garde, le Haut-Marnais participe à la Campagne de Russie.
A la dissolution de la compagnie, versée dans le 4e régiment de gardes d’honneur, Brouville – à qui, le 15 octobre 1811, l’Empereur a proposé de faire partie du collège électoral de l’arrondissement de Chaumont - est promu chef d’escadron dans ce corps, le 19 mai 1813. Le voilà officier supérieur.
L’histoire de ce régiment, où sert un autre officier haut-marnais, le capitaine de Montarby (de Dampierre), a été contée en détail par Jérôme Croyet, archiviste adjoint de l’Ain. Grâce à lui, nous savons que Brouville commande, à Strasbourg, un détachement composé de deux escadrons. Il rejoint cette place le 20 novembre 1813.
Brouville se distingue lors du blocus, notamment lors d’une sortie ayant lieu le 4 février 1814. Le général meusien Broussier – il est né à Ville-sur-Saulx, entre Bar-le-Duc et Saint-Dizier -, gouverneur de la place, rapporte notamment (il est cité par F.-C. Heitz, « Strasbourg pendant ses deux blocus et les Cent-Jours ») : « Les gardes d’honneur, quoiqu’ils eussent l’ordre de ne pas se compromettre, ont cédé à l’ardeur militaire qui les anime, ils ont pris et repris trois fois le village de Schiltigheim ; ils étaient soutenus par le régiment de la Meurthe qui a fait son devoir… Les gardes d’honneur réalisent l’espérance qu’ils ont donnée dans la première sortie : ces jeunes gens se sont conduits avec la valeur la plus brillante. Le colonel (sic) Brouville les a conduits avec bravoure, intelligence et sang-froid. Il était chargé de cette attaque et l’a parfaitement dirigée. Il a forcé l’ennemi à se montrer et l’a occupé de manière à l’empêcher de se porter ailleurs, voilà ce que l’on voulait et ce qui a été exécuté… ». Dans un rapport adressé au colonel Humbert, chef d’état-major, Brouville précisera : « Je suis sorti ce matin, à 4 h, par la porte de Pierre, avec le détachement qui est en garnison dans la place, 200 hommes du régiment de la Meurthe et trois pièces de 6, pour aller prendre position en avant du cimetière», ajoutant que ses gardes d’honneur ont crié « Vive l’Empereur » lors de l’attaque.
Le 10 mars 1814, Brouville est promu, à titre provisoire, colonel-major (c'est-à-dire major, ou lieutenant-colonel) du 4e RGH – grade qui ne sera jamais confirmé.
Il semble que sa carrière s’arrête-là. Lorsqu’il prête serment au roi, en qualité de chevalier de la Légion d’honneur, le 25 novembre 1816, il demeure en non activité à Froncles.
Comme tous les officiers en demi-solde, Brouville est « surveillé » par les autorités de la Restauration. Qui ne trouvent en lui rien de compromettant, en témoigne ce « rapport » du juge de paix du canton de Vignory, qui écrit le 24 mars 1816 au préfet de la Haute-Marne : « Depuis que cet officier est de retour en France, dans la maison de sa mère qui est morte il y a environ six semaines, il s’est conduit avec sagesse et une grande prudence. Il aime le repos et la tranquillité, il ne se communique point, il ne contracte aucune liaison, mène avec sa sœur la vie la plus retirée, ne parlant jamais d’affaires politiques. Il n’est pour l’homme de Sainte-Hélène, qu’il n’a, dit-on, jamais estimé. Son occupation est de donner tout son temps et ses soins à une ferme qu’il a sur le plateau de la montagne de Froncles… » Une ferme d’ailleurs dénommée Brouville, sur une hauteur dominant la Marne.
Henry Doré de Brouville sera maire de la commune de Froncles, particulièrement durant la Monarchie de Juillet, et membre du Conseil général de la Haute-Marne, tout comme son cousin germain Jean Doré de Brouville (autre fils de Pierre-Eugène), né à Clefmont, blessé comme capitaine du 5e cuirassies à Waterloo, retiré à Bourbonne-les-Bains dont il commandera la garde nationale, puis régisseur de l’établissement thermal de Vichy de 1840 à 1845.
Ce fidèle fronclois connaîtra encore le Second Empire, qui le fera médaillé de Sainte-Hélène en 1857, et c’est le 15 décembre 1858, en son domicile, que ce héros des guerres de la Révolution, de Madrid, de Strasbourg rend son dernier souffle, à l’âge de 84 ans. Il n’a jamais, visiblement, contracté d’union.
Sa tombe trône à l’entrée du cimetière de Buxières. Sur l’une des quatre faces du monument, sont gravées des paroles fort élogieuses du maréchal Moncey, qui le range parmi les personnes qu’il a le plus admirées, et le plus aimées…

Sources principales : « La Campagne de Russie et les Haut-Marnais » et « Les bataillons de volontaires nationaux de la Haute-Marne », Pierre-G. Jacquot ; état civil de la commune de Froncles ; dossier de membre de la Légion d’honneur ; « Historique du 4e régiment de gardes d’honneur », Jérôme Croyet ; Archives départementales de la Haute-Marne, série R...

mardi 4 janvier 2011

Notre père ce héros, ou la charge du lieutenant Huot de Goncourt à Pordenone (1809)

Il est curieux de constater combien les illustres plumes françaises du XIXe siècle ont été fortement marquées par l’épopée napoléonienne, ne seraient-ce que par leurs origines familiales. Victor Hugo, Alexandre Dumas étaient fils de généraux, George Sand, d’un lieutenant-colonel aide de camp du maréchal Murat mort précocement. « Mon père ce héros, au visage si doux », a chanté le premier. « Notre père, ce héros », auraient pu également écrire les frères Goncourt, davantage rendus immortels par le prix littéraire qui perpétue leur souvenir que par leurs écrits. Car Marc-Pierre Huot de Goncourt a mérité, par son attitude lors de la bataille de Pordenone, de figurer dans les annales des armées impériales.

Fils d’un avocat et député, Jean-Antoine Huot, il voit le jour à Bourmont le 28 juin 1787. A 16 ans, le 19 juillet 1803, il intègre la toute nouvelle Ecole spéciale militaire créée à Fontainebleau. Moins de deux ans plus tard, en février 1805, il en sort comme sous-lieutenant et affecté au 35e régiment d’infanterie de ligne. Un corps au sein duquel, après la première Campagne d’Autriche, il sert de 1806 à 1810 en Italie, en Dalmatie et en Istrie.

En 1809, le 35e, que commande le colonel Breissand, sert dans l’armée d’Italie du prince Eugène de Beauharnais. Les opérations militaires commencent le 10 avril, et cinq jours plus tard, intervient le combat de Pordenone.
C’est en arrière-garde que deux bataillons du 35e et un régiment de cavalerie légère se trouvent dans cette cité du Frioul, sous les ordres du général Sahuc, lorsqu’ils sont assaillis par des troupes autrichiennes.
Selon l’anthologie « Victoires et conquêtes », Huot de Goncourt (ou plus simplement Huot), lieutenant depuis le 12 août 1808, est affecté à la défense d’une porte de Pordenone, avec 20 hommes. Même effectif, à une autre porte, pour le lieutenant Richard de Tussac. Ils vont faire face aux « charges réitérées de deux régiments de cavalerie ennemie qui voulait traverser la ville pour couper la retraite à l’infanterie française ».
Voici quel fut le comportement du Haut-Marnais, tel que les rapportent ses états de services : « Avec une faible portion de sa compagnie, le lieutenant Huot, déjà blessé, fut enveloppé par une force importante de cavalerie ennemie, et sommé de mettre bas les armes. Dans cette circonstance critique, ne prenant conseil que de son courage, il ne répondit à la proposition qui lui était faite qu’en ordonnant de charger l’ennemi. Déjà de sa main, il avait renversé mort un des cavaliers qui le menaçaient, et à son exemple chaque homme qu’il commandait s’ouvrait un passage, lorsque succombant au nombre qui croissait à chaque instant, et à deux coups de sabre qui lui furent portés sur la tête, il tomba baigné dans son sang, et resta au pouvoir de l’ennemi. »
Après ce fait d’armes, Huot de Goncourt sera promu capitaine en 1811, puis attaché, durant la Campagne de Russie, au général de cavalerie Roussel d’Hurbal en qualité d’aide de camp. Blessé à La Moskowa, passé chef d’escadron en 1813 (il a 26 ans), il sert toujours aux côtés de Roussel d’Hurbal à Waterloo. En demi-solde sous la Restauration, il meurt à Paris en 1834. Son frère aîné Pierre-Antoine-Victor, polytechnicien, sera capitaine d’artillerie, se battra à Wagram et fait chevalier de la Légion d’honneur, avant d’être, comme son frère, aide de camp d’un général (Pouget). Ayant cessé de servir en 18111, il reprendra du service durant les invasions de 1814 et 1815, et sera député des Vosges, avant de mourir à Neufchâteau en 1857.

mercredi 29 décembre 2010

Le dernier combat du "brave" général Salme

« J’approuve que les généraux Salme, Ficatier, Lorencez soient envoyés en Catalogne. » Datés du 14 avril 1810, depuis le palais impérial de Compiègne, ces quelques mots de Napoléon valent onction. Certes, la péninsule ibérique est grande mangeuse d’hommes et notamment de généraux, mais cet accord montre que l’empereur ne s’oppose plus à un réemploi définitif de Jean-Baptiste Salme.
Un général absent des premières campagnes napoléoniennes, en raison d’une disgrâce expliquée par ses amitiés républicaines. C’est que l’homme, général à 27 ans, commandait déjà une division de troupes révolutionnaires, qui fit tomber Grave, Utrecht… C’était il y a déjà seize ans.

La carrière du général Salme a déjà fait l’objet de plusieurs publications. Louis Heitz lui a consacré un ouvrage quasi introuvable aujourd’hui. Un auteur s’est penché sur la carrière de cet homme dans les « Cahiers haut-marnais ». Et son compatriote Didier Desnouvaux a apporté de nouveaux éléments biographiques dans cet article :
http://www.histoire-genealogie.com/spip.php?article868

Rappelons toutefois les grandes lignes de la carrière chaotique de Jean-Baptiste Salme, fils de laboureur, né à Aillianville, dans le canton de Saint-Blin, en 1766. Entré dans le métier des armes comme dragon en 1784, il s’enrôle à Neufchâteau dans le 1er bataillon de volontaires nationaux des Vosges, où il est nommé sous-lieutenant en 1792. Marié la même année, il prend part aux premières opérations sur le Rhin, récoltant deux blessures en 1792 et 1793. Son ascension est plutôt rapide, puisque le voilà lieutenant-colonel du 15e bataillon des Vosges, puis chef de la 3e demi-brigade de ligne, enfin, le 30 mars 1794, général de brigade. Il n’a pas 28 ans. Servant sous le général Pichegru à l’armée du Nord, blessé à Malines, Salme s’illustre dans la campagne de Hollande à la tête de la 4e division. Après une première destitution, il retrouve son arme d’origine, la cavalerie, en prenant le commandement d’une brigade de dragons de l’armée de Sambre-et-Meuse. Destitué à nouveau en raison de son amitié avec Pichegru, réintégré, désigné pour l’armée d’Egypte grâce à ses liens avec le général Kléber, il ne peut embarquer, rejoint l’armée de Naples de Macdonald, et prend part à la funeste campagne de 1799, au cours de laquelle il est blessé et fait prisonnier. Désigné – éloigné ? – pour l’armée de Saint-Domingue, il y est nommé général de division à titre provisoire en 1892 par le général Leclerc… et renvoyé en France. Comme l’a rappelé Didier Desnouvaux, plusieurs motifs ont été avancés pour expliquer ce renvoi : son état de santé, une liaison supposée avec Pauline Bonaparte (la femme du général Leclerc), une suspicion de marché noir, ou, plutôt, ses violentes critiques sur le rétablissement de l’esclavage dans l’île… Mis à la retraite en 1803, à seulement 37 ans, il se retire en Alsace, dans la famille de sa femme, puis à Neufchâteau, d’où il sollicite à plusieurs reprises sa réintégration dans l’armée. Il obtient pour la première fois gain de cause, en 1809, à la tête d’une brigade de gardes nationales – lui, l’ancien commandant de division ! - dans les Flandres, puis donc en Espagne.
A noter que, jusqu’à cette nouvelle affectation, la carrière de Salme a été étrangement similaire avec celle du général Humbert : lieutenant-colonel d’un bataillon vosgien, général de brigade en 1794 (il se battra ensuite en Bretagne puis débarquera en Irlande), affecté à l’armée de Saint-Domingue, suspecté lui aussi d’une liaison avec Pauline Bonaparte (décidément…), renvoyé en France, destitué en 1803… sauf que lui ira ensuite se fixer aux Etats-Unis où il se battra à La Nouvelle-Orléans contre les Anglais et où il décédera.

Revenons à la carrière du général Salme. Désigné le 16 avril 1810 pour l’armée de Catalogne, l’enfant d’Aillianville va recevoir le commandement d’une brigade composée de deux unités françaises, les 7e et 16e de ligne, au sein d’une division majoritairement italienne. Dont Harispe, promu le 10 octobre 1810, prendra le commandement.
C’est le maréchal Macdonald qui, le 24 avril 1810, prend la direction de cette armée (en réalité le 7e corps des troupes de la péninsule), dont Souham commande la 1ère division. Macdonald, sous les ordres duquel Salme a déjà servi, Souham sont des vétérans des campagnes de la Révolution.

Nous sommes peu renseignés sur la conduite de Salme durant les opérations de 1810. En janvier 1811, sa brigade participe à une expédition dirigée sur Molins del Rey, le col d’Ordal et Villafranca. Le 16, un lieutenant du 7e de ligne est blessé à Vals. Passé depuis cinq jours sous les ordres du général Suchet, ce régiment, aux ordres du chef de bataillon Miocque, est attaqué le 31 dans les défilés de Manresa et perd 3 ou 400 hommes, dont les capitaines Aubonix et Grossambert, du 7e.

Bientôt, les troupes de Catalogne vont participer au siège de la ville catalane de Tarragone, au bord de la Méditerranée. Selon leur chef, le général Suchet, le général Harispe, chef de la 3e division (dont Salme commande la 1ère brigade), passe le 4 mai 1811 le Francoli afin de faire rentrer l’ennemi dans la ville. « Les postes espagnols établis en avant de l’Olivo, appuyés par l’artillerie du fort, opposèrent une résistance vigoureuse et opiniâtre. La brigade Salme les attaqua à plusieurs reprises. Elle parvint à les repousser, et à gagner le terrain nécessaire à son établissement. Ce premier combat nous coûta 180 hommes tués et blessés, parmi ces derniers huit officiers, entre autres le lieutenant Brenier du 7e qui reçut quatre blessures, et le lieutenant Bouthier du 16e qui ne voulut point quitter sa compagnie »Dans la nuit du 13 au 14 mai, Salme se met à la tête de huit compagnies d’élite des 7e et 16e de ligne français, du 2e léger et 4e de ligne italiens et enlève des retranchements en avant du fort Olivo, pierre angulaire du dispositif de défense espagnol.
Dans la nuit du 27 au 28 mai 1811, il y eut, devant le fort, une sortie des assiégés. L’ouvrage « Journaux des sièges faits ou soutenus par les Français dans la péninsule », qui s’inspire des mémoires du maréchal Suchet, raconte : « Le général Salme, qui veillait sans relâche au succès de l’opération, avait ses réserves toutes prêtes : il accourut aussitôt, et il criait : « Brave septième en avant ! » lorsqu’un biscaïen le frappa à la tête et le renversa mort. Nos soldats, furieux de la perte de leur général, se précipitèrent sur les Espagnols, les culbutèrent, et les poursuivirent jusque sous les murs du fort ».La mort du général haut-marnais est vivement ressentie dans les rangs de l’armée. Ainsi, le 31 mai, Suchet écrira au maréchal Berthier : « La mort du général Salme, qui réunissait toute la confiance de sa brigade, bien loin de ralentir l’ardeur de ses troupes, n’a fait naître en elles que le désir de le venger ». Dans ses mémoires, Suchet enfoncera le clou : « Le général Salme réunissait au plus haut degré les premières qualités militaires ; son audace, son intrépidité entraînaient le soldat. Le général en chef ressentit un véritable chagrin de la perte de cet officier général, qui était depuis fort peu de temps sous ses ordres, mais dont il avait apprécié les services, et pour lequel il avait obtenu une récompense (Note : la Légion d’honneur), dont la nouvelle arriva quelques jours après sa mort. Toute l’armée le regretta… » En hommage à ce chef estimé, le fort Olivo sera d’ailleurs baptisé fort Salme, sur ordre du général Suchet.
De son côté, l’anthologie « Victoires et conquêtes » n’aura que des mots élogieux pour Salme : « La franchise, la loyauté, la cordialité rehaussaient ses vertus guerrières. Sa bienveillance et son extrême générosité tempéraient et dominaient son caractère ardent et sévère. L’honneur seul guidait toutes ses démarches, et la considération générale dont il jouissait était le fruit d’une conduite toujours exempte du moindre reproche. Longtemps disgracié par Napoléon, qui lui reprochait d’être trop républicain, Salme s’était résigné à vivre, comme Fabricius et Curius Dentatus, du produit de ses travaux champêtres. Militaire actif, instruit et vigilant, autant qu’ami généreux, désintéressé, d’une probité sévère, il était surtout attentif à veiller aux besoins des soldats ; il leur inspirait une estime, une confiance et un attachement sans borne… Avec le sang des Espagnols massacrés, pour ainsi dire, sur sa tombe, les soldats écrivirent sur les murs d’Olivo : « Notre brave général Salme vengé »…. » Nul doute que ces lignes, peu courantes dans cette anthologie, ont été couchées sur deux pages par un admirateur, si ce n’est un intime, du général Salme.
Même Thiers, auteur d’une inestimable histoire du Consulat et de l’Empire, évoquera un « jeune général de très grande espérance » ! Un « jeune » officier toutefois âgé de 45 ans, et général depuis 17 ans !

C’est le 28 juin 1811 que la ville de Tarragone capitulera. Un succès qui vaudra au général lyonnais Suchet – dont l’histoire familiale sera étroitement liée avec Rimaucourt – le bâton de maréchal d’Empire. Il est à noter que le siège aura été particulièrement meurtrier pour la brigade Salme, qui sera confiée au général meusien Ficatier. Au 7e de ligne, les chefs de bataillons Valot et Miocque ont été mortellement touchés, le chef de bataillon marnais François-Joseph Failly blessé. Au 16e de ligne, le chef de bataillon Revel a été tué, le chef de bataillon Poulin Faucaucourt blessé.

Didier Desnouvaux précise, au sujet de la mort du Haut-Marnais, que « Napoléon fit également déposer dans son cercueil les brevets de général de division et de baron de l’Empire. Ce titre ne fut pas régularisé et le décret fut simplement enregistré à la chancellerie sans délivrance de lettres patentes ni d’armoiries ».Le nom du général Salme est inscrit sur l’Arc de Triomphe. Et une rue de son village natal perpétue son souvenir.

Lire aussi le parcours du chef de brigade Claude-Louis Barjonet, autre volontaire des Vosges :
https://bribeshistoirefamiliale52.blogspot.com/2021/05/un-colonel-de-26-ans.html

lundi 13 décembre 2010

Un ancien postillon de Napoléon dans la Guerre de Sécession

Le 24 avril 1861 – soit onze jours après la capitulation du Fort Sumter, en Caroline du Sud, point de départ de la Guerre de Sécession américaine -, un citoyen pennsylvanien d’origine française s’enrôlait, en qualité de capitaine, dans les rangs du 18th Pennsylvania infantry regiment. Ses particularités : il est âgé de 65 ans, et la majorité des hommes de la compagnie qu’il commande sont Français de naissance ou d’origine. Plus étonnant : c’est un ancien serviteur – comme postillon - de l’empereur Napoléon Ier, qu’il a accompagné jusque dans son exil de Sainte-Hélène 46 ans plus tôt !

Selon différentes sources américaines, Jacques-Olivier Archambault – c’est son nom - est né à Fontainebleau, près de Paris, en 1796 (le 22 août, a priori). Il est le frère cadet d’Achille-Thomas, né quatre ans plus tôt, et, confirme le fameux valet Marchand dans ses mémoires, les frères Archambault faisaient partie de la maison impériale.

Achille, précisera Las Cases dans ses souvenirs, est entré au service de l’empereur en 1805 – il avait donc 13 ans. Attaché aux écuries, il a suivi Napoléon à l’île d’Elbe, où il a été nommé brigadier des valets de pied, puis a participé à la Campagne de Waterloo, avant d’accompagner son « maître » à Sainte-Hélène, en compagnie de son frère. Piqueur au sein de la maison impériale – soit la personne chargée de la responsabilité d’une écurie, Achille a participé au nettoyage du corps de Napoléon à son décès le 5 mai 1821. « Membre de la commission chargée de ramener en France les cendres de Napoléon Ier » (dixit son dossier de légionnaire), Achille sera fait chevalier de la Légion d’honneur le 14 janvier 1853. Il résidera à Sannois, en région parisienne, où il décèdera en 1858. C’est à lui, vraisemblablement, que Napoléon a légué, dans son testament, la somme de 50 000 F.

Quant à Joseph, il s’installe aux Etats-Unis, d’abord à Philadelphie. Fréquentant notamment Joseph Bonaparte, il se fixe ensuite à Newton, et devient propriétaire du fameux Brick hôtel.

Malgré son âge avancé, cet habitant du comté de Buck s’enrôle donc dans les rangs de l’armée nordiste, appelant au service ses concitoyens français qui seront regroupés dans la compagnie C – son lieutenant, Constantin Pequignot, est natif de Frahier, en Franche-Comté. Le 18th Pennsylvania du colonel Lewis a une très courte existence : organisé à Philadelphie en avril 1861, il tient garnison à Baltimore et à Pikesville, avant de cesser de servir en août.

Toujours capitaine, Archambault passe dans les rangs du 2nd Pennsylvania cavalry regiment (ou 59th Pennsylvania regiment) du colonel Price, en qualité de commandant de la company A. Ce corps se bat notamment à Cedar Mountain, à Antietam (1862), à Gettysburg (1863), prenant part enfin à la poursuite du général Lee jusqu’à la reddition d’Appotamox court house (1865). Durant ce conflit fratricide, les pertes du 2nd Pennsylvania cavalry sont de 60 tués.

Parvenu au grade de major en 1862 – le 19 mai ou le 27 juin, selon les sources – l’ancien postillon de Napoléon meurt à Philadelphia le 3 juillet 1874.

Sources : « Mémorial de Sainte-Hélène » ; différents sites Internet consacrés aux régiments de volontaires de Pennsylvanie et au comté de Buck.