mercredi 13 août 2008

Christophe Laloy (1786-1816), héros de Stade


« Citoyen Premier consul… » Le député Laloy a pris sa plume. Ce cinquième jour complémentaire de l’an XI, en des termes qui fleurent encore bon un langage révolutionnaire bientôt désuet, c’est au général Napoléon Bonaparte, le héros de Toulon, d’Arcole et des Pyramides, aujourd’hui Premier des Français, qu’il adresse une requête[1].
Certes, celui qui a voté la mort du roi, qui a brièvement présidé l’Assemblée nationale, ne goûte guère, à en croire son ancien secrétaire et biographe Emile Jolibois, cette nouvelle forme de pouvoir personnel qu’incarne aujourd’hui le général corse. Mais il s’agit de l’avenir de son fils de 17 ans, Pierre, François, Christophe. Son unique garçon, sur qui ce député aux Anciens fonde de sérieux espoirs pour l’avenir. «Il a reçu des leçons de langues française, latine et italienne, argumente Pierre-Antoine Laloy, et il a des principes de géographie et d’histoire, de dessin et de lavis. Pensionnaire au Prytanée de Paris, il a été récompensé par ses succès en mathématique ; il en suit les cours au lycée.»

Pierre-Antoine Laloy dit « le Jeune», pour le distinguer de son frère Jean-Antoine, médecin, député aux Etats-Généraux et maire de Chaumont, est avocat de profession. Mais Christophe ne souhaite pas marcher sur les traces paternelles : en cette période de paix après des années de furieuses guerres révolutionnaires, l’adolescent rêve de gloire militaire. En qualité d’officier. C’est le sens de la demande du député Laloy : que Bonaparte accueille son garçon dans l’école spéciale militaire que le nouvel homme fort de la France vient de créer à Fontainebleau. «Il est temps de vous l’offrir, citoyen Premier consul», conclut, solennel, le parlementaire haut-marnais.
Son vœu est exaucé : en nivôse an XI, Christophe Laloy intègre la nouvelle école. Celle destinée à former, durant deux années, les officiers des armées consulaires - et bientôt impériales. L’y rejoint rapidement le fils d’un ancien lieutenant du roi à Chaumont, Charles Denys, né dans la capitale du Bassigny en 1783. Là où il a lui-même vu le jour, trois ans plus tard, le 7 juillet 1786.
C’est le chanoine Babouot, curé de la basilique Saint-Jean-Baptiste, qui baptise le deuxième enfant – après une fille - de Pierre-Antoine Laloy, né en 1749 à Doulevant-le-Château (Haute-Marne), et de Cécile-Euphémie Delaporte, la fille d’un marchand chaumontais mariée à 15 ans[2]. L’enfant reçoit le premier prénom de son père, celui – masculinisé – de sa marraine (Françoise Laloy), enfin celui de son aïeul maternel, Christophe Delaporte. C’est ce troisième prénom qui le désignera pour la postérité.
Comme Jean-Nicolas, son frère médecin, Pierre-Antoine Laloy vit donc dans cette ville qui deviendra, en 1790, le chef-lieu du « département méridional de la Champagne », puis de la Haute-Marne. Non loin du Palais de justice – l’ancien donjon des comtes de Champagne.
Député en 1791, l’avocat Laloy entraîne sa famille à Paris l’année suivante, à son élection à la Convention. Chaumontais durant les six premières années de sa vie, Christophe Laloy devient un petit Parisien. Nous l’avons vu, il est lycéen dans la capitale. Et va donc se former au métier d’officier à Fontainebleau.
Le 23 octobre 1804 (quelques semaines après la mort de son oncle Jean-Nicolas à Chaumont), il est nommé, à 18 ans, sous-lieutenant. Le 27 fructidor an XIII, son compatriote Marie-Nicolas dit Félix Guyardin – coîncidences : lui aussi fils d’avocat, lui aussi fils de régicide haut-marnais -, né à Langres en 1787, quitte Fontainebleau comme sous-lieutenant du 103e de ligne. Ce ne sera pas leur seul point commun…
Entre-temps, la République a fait place à l’Empire français.
2 décembre 1805. Un an jour pour jour après son sacre, Napoléon 1er remporte sa plus prestigieuse bataille : Austerlitz. Mais le sous-lieutenant Laloy ne semble pas être de l’illustre campagne d’Autriche, à laquelle prend part l’un des deux bataillons de son corps d’affectation, le 3e régiment d’infanterie légère : il paraît plutôt servir au sein de l’armée d’Italie[3]. C’est le maréchal Brune, qui ne tarissait pas d’éloge sur le dévouement passé du député Laloy, qui lui a obtenu cette affectation dans la péninsule – des éléments du 3e léger du colonel Mas sont effectivement stationnés dans l’Etat de Parme.
Absent d’Austerlitz, absent vraisemblablement d’Iéna : le sous-lieutenant Laloy n’est donc pas sous le regard de l’Empereur. Il n’est pas certain non plus qu’il participe à la campagne de Pologne, à laquelle prend pourtant part son 3e léger confié au major Gavotti et incorporé dans la division Boudet du corps d’observation commandé – coïncidence – par Brune.
Parmi les brigadiers de cette division, le général François-Nicolas Fririon. Un Lorrain de 41 ans auquel est attaché le sous-lieutenant Laloy, à l’initiative du maréchal Bernadotte[4]. Bientôt, le Chaumontais va faire la preuve de son courage et de son dévouement auprès de son général.
Eté 1808. Fririon, qui a pris part au siège de Stralsund, conquis l’île de Bornholm, est en poste à Seeland, une île danoise. Sous ses ordres, notamment, une division composée de soldats espagnols, sous les ordres du général-marquis de La Romana ! Or dans la péninsule ibérique, la donne politique vient de changer. Napoléon a évincé les Bourbon – ses alliés objectifs - du trône espagnol, au profit de son frère Joseph. Un changement plutôt mal accueilli : les Madrilènes se sont révoltés le 2 mai.
Prêter serment au roi Joseph ? La perspective n’enchante guère les Espagnols servant dans la Grande Armée. Au point de susciter de leur part un mouvement de révolte. Plutôt radical, car leur objectif, ni plus ni moins, est de tuer leur général, Fririon. Le 31 juillet 1808, ils font irruption dans sa demeure, le château de Roskilde. Leur fureur fait une première victime : Marabail, un sous-lieutenant du régiment de Laloy. Mort. Un deuxième membre de l’état-major de Fririon s’interpose : c’est Laloy. Frappé à coups de crosse, il est grièvement blessé. Le visage en sang, il ne doit son salut qu’en sautant par une fenêtre du rez-de-chaussée. Le général lorrain, lui aussi, parvient à s’échapper. Et il ne cessera de louer l’attitude du sous-lieutenant. «La conduite de M. Laloy, rapportera-t-il, volant à ma défense, est d’autant plus digne d’éloges qu’il courait à une mort certaine.»
Fririon est-il à l’origine de la nouvelle affectation du lieutenant Laloy (il a été promu le 20 février 1809) ? Toujours est-il que le Chaumontais est attaché, officiellement pour la première fois comme aide de camp, au général de brigade (depuis 1807) Etienne Rivedoux d’Hastrel, né au Canada en 1766, un ami du frère de Fririon, et – nouvelle coïncidence - beau-frère de Bernadotte.
Aide de camp. Voilà donc notre Haut-Marnais accepté cette catégorie si particulière du corps des officiers (deux pour un brigadier), reconnaissables à leur brassard porté au bras, dévoués jour et nuit à leur général – souvent premiers remparts de leur corps lors des combats, porteurs de dépêches, exécutants de reconnaissances, intendants, parfois confidents. Mais pour Laloy, être l’ombre du général d’Hastrel n’est pas la meilleure garantie d’être enfin sous le regard de l’Empereur, à en juger l’énumération des commandements successifs de ce général : à partir de mars 1809 et jusqu’en mars 1812, il est employé, essentiellement comme chef d’état-major, en Allemagne, à Anvers (sous Bernadotte, tiens, tiens…) et en Hollande (sous Oudinot), à Hambourg (qu’il commande militairement), à nouveau dans l’armée d’Allemagne, enfin au corps d’observation de l’Elbe. Entre-temps, il est passé divisionnaire (en 1811). Mais voilà qu’Hastrel quitte l’Europe du nord : il doit rejoindre le ministère de la Guerre, à Paris, plus précisément la direction générale de la Conscription.
Une nouvelle affectation dans laquelle Laloy ne suit pas « son » général. Il reste à l’armée d’Allemagne, transformée en 1812, à la veille de son entrée en Russie, en 1er corps de la Grande Armée. Le nouveau supérieur du Chaumontais, promu capitaine à 25 ans : le maréchal Davout, l’ancien gouverneur d’Hambourg. Précisément, Laloy est incorporé, en qualité d’adjoint, au sein de l’état-major du duc d’Auerstaedt, commandé par le général Louis Romeuf. Un Auvergnat, âgé de 46 ans, qui restera dans l’Histoire comme l’un de ceux qui ont arrêté Louis XVI lors de sa fuite vers la Prusse.
Avec ses 39 000 hommes, le 1er corps est le plus important, numériquement, de ceux qui vont franchir le Niémen, le 23 juin 1812. L’un des plus expérimentés, aussi : parmi ses divisionnaires, Morand, Gudin, Friant secondaient déjà Davout lors de la glorieuse journée d’Auerstaedt, le 14 octobre 1806. Quant au cavalier, le Franc-comtois Pajol, il est un des plus fameux sabreurs de l’Empire. C’est donc au sein de ce corps illustre que le capitaine Laloy va prendre part à l’une des plus célèbres campagnes de Napoléon. Sous le regard duquel il va – enfin - se battre. Et peut-être, huit ans après sa nomination comme officier, se faire remarquer…
Premières occasions : Mohilev, en juillet 1812, et Smolensk, le mois suivant. Laloy est-il blessé aux environs de cette ville[5] ? Dans un courrier adressé le 23 août au maréchal Berthier, major-général de la Grande Armée, Davout ne souffle mot d’une éventuelle blessure de son subalterne. En revanche, il ne tarit pas d’éloges sur ses qualités. «C’est un des officiers les plus distingués de mon état-major, qui a d’excellents services», plaide le prince d’Eckmühl, qui s’y connaît en soldats. Ce qui l’amène à s’étonner que le Chaumontais, jusque là, n’ait pas encore reçu, comme Davout en a fait la demande, la Légion d’honneur - cette décoration, au passage, contre laquelle le député Laloy a voté[6]
C’est dans des circonstances bien particulières que le maréchal d’Empire va s’attacher – et pour longtemps – les services de l’officier haut-marnais. Le choc tant attendu entre la formidable Grande Armée et les troupes russes a enfin lieu, non loin de Borodino, au bord de la Moskowa, le 7 septembre 1812. La bataille est âpre, les pertes terribles. Parmi les généraux mortellement blessés : Romeuf. Davout nourrissait une grande estime pour son chef d’état-major : il décide d’employer auprès de lui ses adjoints, et parmi eux, le capitaine Laloy.
Après La Moskowa, après l’entrée dans Moscou, la campagne de Russie tourne court. La Grande Armée retraite dans des conditions épouvantables. Le 1er corps, dont les effectifs ont fondu, se replie sur la Vistule. Puis sur l’Oder. Enfin sur l’Elbe. En mars 1813, Davout est à Dresde. Il a toujours, près de lui, le capitaine Laloy, qui a perdu ses chevaux lors de la campagne russe[7]. Un officier à qui il confie bientôt une mission : ramener des prisonniers pour les interroger. Le Chaumontais réunit une vingtaine de soldats, les fait embarquer dans deux bateaux, franchit une rivière vers le lac de l’Elster, met en fuite des cosaques… et la main sur des paysans. Nouvelle action d’éclat que le maréchal s’empresse de rapporter au prince Eugène de Beauharnais, nouveau commandant, après le «départ» de Murat, de la Grande Armée. En attendant le retour de Napoléon…
Ce dernier revenu de Paris – où l’avait « rappelé » le coup d’état du général Malet - reprend l’offensive. Le 2 mai 1813, il gagne à Lutzen. Le 22, à Bautzen. Neuf jours plus tard, Davout fait son retour dans une ville qu’il connaît bien pour l’avoir gouvernée : Hambourg, le chef-lieu de la 32e division militaire. Car les Russes acclamés par la population en avaient pris possession…
Tandis qu’un armistice, à la faveur des victoires précitées, vient d’être conclu en juin 1813, Davout réorganise ses troupes : elles éclatent pour donner notamment naissance à un nouveau corps, le 13e. Parmi ses unités, un régiment issu d’ailleurs du 3e bataillon de volontaires nationaux de la Haute-Marne : le 3e de ligne. C’est un officier né à Poissons qui le commande : le major Nicolas Gillet. Le prince d’Eckmühl s’emploie également à fortifier les places sous son contrôle. Certes, il est assisté par le commandant Vinsche, mais il réclame un officier supérieur pour commander le génie de son 13e corps. Début juillet 1813, un colonel lui arrive : le baron Charles Deponthon, d’Eclaron, ancien officier d’ordonnance puis secrétaire (en Russie) de l’Empereur. Autant dire un homme compétent et de confiance ; il ne faillira pas à cette réputation…
Fin septembre 1813, Davout envoie Laloy en mission à Hambourg. Le constat du Chaumontais : il « n’a presque rien trouvé de fait » à Harbourg, s’impatiente Davout dans un courrier adressé le 26 au gouverneur d’Hambourg, qui verra donc arriver Deponthon pour des travaux exécutés par les hommes des 3e, 33e et 105e de ligne.
A Deponthon, les fortifications d’Hambourg, à son compatriote Laloy, le commandement de Stade. Car c’est à ce capitaine de 27 ans que le maréchal Davout confie la direction militaire de cette place, sous-préfecture impériale située à l’embouchure de l’Elbe, à une soixantaine de kilomètres à l’ouest d’Hambourg. Celle-ci devait être la base d’opérations à partir de laquelle le 13e corps devait converger vers Berlin ; mais les revers successifs de Vandamme (à Kulm), Oudinot (à Gross-Beren), Macdonald (à la Katzbach) en ont décidé autrement. C’est Hambourg et les places de sa région que le prince d’Eckmühl doit désormais défendre.
Le Russe Woronzow marche sur Stade. Les sources divergent quant à l’importance de sa garnison : 400, ou 800 hommes. Ce qui est certain, c’est que Laloy, qui vient d’être rejoint par le major van Ommerer (un Hollandais, sans doute), dispose de fantassins du 29e de ligne, de douaniers, de marins, de cavaliers démontés. Pour commander son artillerie, un simple sergent : Luizette.
27 novembre 1813. La disproportion des forces entre les Français et les Russes est écrasante. Woronzow a réuni de 4 à 5 000 hommes. Ils devraient ne faire qu’une bouchée de la faible garnison. L’assaut se fera par la porte de Bremeworde. Là, sont embusqués 25 soldats français. Autant dire une poignée. Pourtant, l’impensable se produit : ce poste résiste. Mieux : il repousse trois fois l’ennemi. Le général César de Laville, chef d’état-major du 13e corps, est dithyrambique : il parle de 200 cadavres russes laissés sur le terrain ! Exagération ? Toujours est-il que Woronzow, surpris par cette résistance inattendue, se contentera, pendant plusieurs heures, de bombarder et mitrailler la place. L’affaire dure sept heures, avant qu’il ne renonce.
La page est belle. Elle figurera en bonne place dans la série « Victoires et conquêtes », anthologie des campagnes de la Révolution et de l’Empire. Pour Davout, Laloy est définitivement un officier « doué d’une grande fermeté ». Ferme, mais pas obtus. Charge maintenant au Chaumontais d’évacuer Stade et de replier la garnison. Ce qui est fait à la barbe des Russes, deux jours plus tard, et ce sans oublier ni les blessés, ni les malades, ni l’artillerie et les munitions, se félicitera le général Laville.
Replié par le Holstein, le capitaine Laloy retrouve la place d’Hambourg, qu’il a connue lorsqu’il servait d’Hastrel. Davout a renoncé à marcher vers l’Ouest, et c’est là qu’il se fixe définitivement. Le Russe Benningsen vient bloquer ses 42 000 hommes, dont 8 0000 malades. En cet hiver 1813-1814, le siège d’Hambourg commence.
Pendant ce temps, la France est envahie, après la défaite de Leipzig. Mais cela, la garnison l’ignore : elle veille jalousement sur ce drapeau tricolore qui flotte non loin de la Baltique. Des mémorialistes célèbres, le général Thiébault, le chef d’escadron de Gonneville raconteront ce blocus émaillé de plusieurs combats.
Coupé de l’Empereur, le prince d’Eckmühl distingue ses combattants. Le 21 mars 1814, à titre provisoire, il nomme l’Eclaronnais Deponthon général de brigade, à 37 ans, et le Chaumontais Laloy chef de bataillon, à moins de 28.
Le jeune homme ne tarde pas à faire briller ses nouveaux galons. Lors d’une action offensive, le commandant Laloy, cet officier d’une « rare intrépidité » (général de Laville), prend la tête de 25 voltigeurs du 111e de ligne, progresse sur une digue étroite et s’empare de maisons occupées par les Russes. Au prix de deux blessés. Ce fait intervient peut-être le 2 avril 1814. Ce même jour, à quelques milliers de kilomètres de là, Napoléon 1er, qui a abdiqué, fait ses adieux à la Garde…

Le député Laloy, rappelons-le, a voté la mort de Louis XVI. Deux décennies plus tard, le frère du défunt roi monte sur le trône de France. Ce retour des Bourbons, les hommes du 13e corps bloqué à Hambourg n’oseront y croire. C’est pourtant la réalité. Fin mai, la garnison rentre en France.
Christophe Laloy est fils de régicide, mais il est avant tout un officier français : il servira le roi comme il a servi l’Empereur. Un poste l’attend : auprès du général Grundler, qui commande la 1ère division militaire, celle de Paris. Pour cela, le Chaumontais attend confirmation de son grade obtenu de Davout. Il multiplie les requêtes, auprès du général Gérard (qui avait pris la tête du 13e corps), du général Maison, du général de Beurnonville. Mais en septembre 1814, il n’a toujours pas obtenu satisfaction. Finalement, son grade chef d’escadron semble ne lui être définitivement attribué qu'au retour de Napoléon, au printemps 1815.
Le très compétent Davout se rallie à l'empereur, recevant le portefeuille du ministère de la Guerre. Et le maréchal bourguignon appelle à lui, comme aide de camp, le chef d’escadron Laloy. A qui il confie une mission d’importance : celle de s’assurer de la fidélité des places de la Picardie et du Nord de la France. Les instructions sont données le 22 mars 1815 : Laloy « est autorisé à suspendre tout officier qui opposerait la moindre résistance et qui voudrait persister à exécuter de prétendus ordres des agents du Roi, quelque soit leurs nom et titre… » Son itinéraire : Péronne, Arras, Douai, Lille, Valenciennes, Condé, Le Quesnoy, Maubeuge, Landrecies, « pour s’assurer que partout l’autorité de l’Empereur y est reconnue… »
La mission du Chaumontais commence le même jour. Le rapport qui sera fait cinq jours plus tard sera publié par « Le Moniteur ». Il ne laisse aucun doute sur sa fidélité à Napoléon… du moins à son retour : « J’y ai trouvé partout le même esprit, partout le même enthousiasme pour la personne de Sa Majesté… (A Péronne, devant le drapeau), c’est au cri de Vive l’Empereur ! que nous avons salué ce symbole de notre gloire. » Laloy arbore sur lui une cocarde et à cette vue, rapporte-t-il, des hommes du 8e dragons ont crié l’Empereur, lequel, selon Laloy, « est à nos yeux l’ange tutélaire qui doit rendre à notre belle patrie sa gloire et sa prospérité ».
De retour de cette virée enivrante, Laloy est dirigé sur l’île de Saint-Marcouf, en Normandie, pour l'approvisionner.
Menacé par l’Europe entière, Napoléon prend l’offensive, où se concentrent les Anglais, les Prussiens, les Hollandais. Ligny, Waterloo… L’armée du Nord est défaite. Seule son aile droite confiée au maréchal de Grouchy échappe au désastre. Elle retraite en bon ordre vers la France.
En coulisses, des dignitaires de l’Empire entendent négocier avec l’ennemi. Fouché a constitué une Commission de gouvernement chargée de traiter avec le maréchal prussien Blücher qui marche sur Paris. « Il vaut mieux sacrifier quelques places que de sacrifier Paris », insiste-t-il dans une dépêche destinée aux plénipotentiaires qui viennent de partir. Ceux-ci ont-ils touché Grouchy, qui vient de recevoir le commandement de l’armée du Nord ? Davout confie l’importante missive à son aide de camp chaumontais. Direction, le 28 juin 1815, à cheval, l’état-major de Grouchy, et donc les envoyés de la commission. Laloy rencontre le nouveau commandant de l’armée du Nord le même jour, à Villers-Cotterets, dans l’Aisne. Mais le maréchal n’a point vu les plénipotentiaires. Il les pense plutôt vers Senlis. Le cheval de l’officier est « exténué de fatigue et (peut) à peine marcher », rapporte Grouchy, mais Laloy reprend la route. Sa mission sera bientôt caduque : les ambassadeurs français ont été faits prisonniers aux avant-postes de Blücher…
Juillet 1815. Laloy cesse de servir le maréchal Davout, qui a quitté son ministère pour le commandement de l’armée de la Loire et qu’il a suivi jusqu’à Orléans. Quand ce dernier fait ses adieux à ses aides de camp, le 31 juillet, le Haut-Marnais ne figure plus dans son entourage.
Napoléon a abdiqué : bientôt, un navire britannique l’emmènera vers l’île de Sainte-Hélène. Louis XVIII est de retour.
Laloy sert-il le roi ? C’est peu probable. Il n’est d’ailleurs pas fait chevalier de Saint-Louis. Son père, rallié aux Cent-Jours (il a été nommé au conseil de préfecture de la Seine), est touché par la loi de proscription qui frappe notamment les régicides : il s’exilera à Mons, en Belgique, en 1816.
Christophe Laloy reste à Paris. Il réside au 24, rue de la Chaise. Il est malade, dit pudiquement Emile Jolibois. Son beau-frère Blaise Floriot – un Haut-Marnais qui travaille dans la capitale - parle de douleurs à la tête (des conséquences de ses blessures ?). En dépit de sa fragilité, l’officier entreprend de dresser le catalogue de la riche bibliothèque du député Laloy que celui-ci veut vendre. Le 21 août 1816, c’est la fin, imprévisible : à 30 ans, l’officier se tire un coup de pistolet à la tête. Il devait déjeuner le soir-même avec Floriot qui le voyait tous les jours…
« Succombant à la douleur, le vieillard (Pierre-Antoine Laloy a 67 ans) s’en prend à lui-même du coup qui l’atteint. Son fils, déjà souffrant, a été surchargé de travail et de soucis par l’inventaire à adresser et les démarches qu’il a dû faire en vue de la vente de la bibliothèque, et il en est mort ; c’est ce qui rend le père inconsolable », écrit l’abbé Lorain. Sa fille et son gendre tentent de le déculpabiliser : « Il a mis fin lui-même à sa triste vie », estime Emilie. « L’on ne doit attribuer sa mort qu’aux douleurs qu’il éprouvait à la tête », assure Blaise Floriot.
Le décès de ce fils unique affecte Mme Laloy. Elle meurt à Mons le 22 août 1819, pratiquement trois ans jour pour jour après la tragédie. Veuf, privé de l’affection de son fils, éloigné de sa fille, le député reste seul en Belgique, chez un artisan, jusqu’en 1830. De retour en France, grâce à l’accession au trône de Louis-Philippe (un ancien général de la République) il ne choisit pas Paris pour résidence, mais Chaumont, qu’il a quitté depuis 1792. Il y meurt, presque centenaire, en 1846. Il laissera, pour l’Histoire, des archives aujourd’hui conservées à Choignes. Parmi les 96 pièces du fonds Laloy, quelques unes relatives à la prometteuse et trop courte carrière de son fils Christophe…

[1] Citée par l’abbé Charles Lorain, dans sa biographie inédite du député Laloy. Ce manuscrit de 306 feuillets est consultable aux ADHM (cote 1 J 251).
[2] Une copie de l’acte de baptême figure dans le fonds Laloy (ADHM).
[3] Dont l’un des divisionnaires est Chaumontais : le général Antoine Girardon, mort à Paris en 1806.
[4] Selon le commandant Boppe, auteur d’une étude sur les Espagnols de la Grande-Armée (dont des extraits ont été publiés dans "La Sabretache").
[5] Selon l’abbé Lorain, biographe des frères Laloy.
[6] Selon Jolibois.
[7] Fonds Laloy, ADHM.