vendredi 8 décembre 2017

Haut-Marnais dans les Flandres. 1809-1810 (1ère partie).

Fin juillet 1809, une flotte britannique est signalée devant l'île de Walcheren, aux Pays-Bas. Alors qu'une partie des troupes napoléoniennes se bat dans la péninsule ibérique et en Italie, que Napoléon vient de battre les Autrichiens à Wagram, c'est à la garde nationale qu'il est fait appel pour défendre les côtes de la mer du Nord. 
Le débarquement ennemi intervient le 15 août, alors qu'une semaine plus tôt, l'empereur envisageait de réunir 6 000 hommes à Lille, autant à Saint-Omer, autant à Ostende, autant à Anvers. Dans son édition du 19 août 1809, le Journal de la Haute-Marne, organe de presse du département contrôlé par le gouvernement, relaie les mesures prises par le préfet, Gabriel Jerphagnon, qui a reçu des instructions deux jours plus tôt (donc au surlendemain du débarquement), pour organiser un bataillon de 1 000 hommes et le diriger sur Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais. 
 Aussitôt, la garde nationale est réactivée dans le département. Après l'épopée des bataillons de volontaires nationaux et de réquisition (1791-1794), après la constitution du 1er bataillon auxiliaire de la Haute-Marne (1798), il s'agit de la première unité mise sur pied dans le département sous l'Empire. Chaque commune est appelée à fournir la liste de ses hommes susceptibles de servir dans ce 1er bataillon des gardes nationales de la Haute-Marne. Ceux qui seront appelés à concourir appartiennent aux classes d'âge comprises entre l'an XI et l'an 1809. Tous se voient donner rendez-vous à Chaumont, le 30 août. Selon la presse haut-marnaise, ils sont un peu plus de 3 000, rassemblés, durant deux jours, dans le champ de l'Arquebuse, c'est-à-dire l'actuelle avenue des Etats-Unis qui mène à l'école de gendarmerie. La sélection permettra de renvoyer les hommes mariés (ils sont 600), ceux considérés comme «moins propres au service militaire» ou «nécessaires à l'agriculture». Ces hommes, dit-on, «ont passé la revue de M. le préfet aux cris réitérés de Vive l'Empereur!». 

 Qui, pour encadrer ces volontaires ? La question du chef de bataillon est déjà réglée par le décret gouvernemental : la fonction reviendra à un major (lieutenant-colonel) d'active. Pour la Haute-Marne, il s'agit du major du 64e régiment d'infanterie de ligne, François-Basile Azémar, 43 ans, originaire du Tarn. Tous les autres emplois d'officier reviendront à des habitants de la Haute-Marne. Dès le 24 août 1809, le maire de Joinville signale que sept «anciens officiers pensionnés» résidant dans sa commune se sont présentés à lui pour offrir leurs services : les capitaines François Didier (29e régiment d'infanterie de ligne), Pierre-Antoine Mailfert (26e régiment d'infanterie de ligne), Nicolas-François Lalorre (artilleur vétéran de la Campagne d'Egypte), Louis-Philippe Cirel (3e régiment d'infanterie de ligne, membre de la Légion d'honneur), les lieutenants Barthélémy Desnouveaux (58e régiment d'infanterie de ligne), Etienne Urbain (85e régiment d'infanterie de ligne) et Claude Bourotte (8e régiment de chasseurs à cheval). Aucun ne sera retenu lors d'un conseil tenu le 29 août à Chaumont. Justifiant 34 ans de services, le capitaine pensionné François Piault (43e demi-brigade d'infanterie de ligne), retiré à Osne-le-Val, brûle également du désir de servir. Il l'écrit le 24 août : «Je suis prêt à sacrifier le reste de ma vie pour Sa Majesté». La candidature de cet officier de 66 ans n'obtiendra pas plus d'écho favorable. Tandis qu'à Saint-Dizier, l'adjudant-général (rang de colonel) Edme-Joseph Boulland, 62 ans, retraité depuis six ans, fait part de sa disponibilité, y compris comme capitaine, une première liste conservée par les archives cite, outre les Joinvillois cités plus haut, les noms des capitaines Guignard, Louis Husson, Falcony et Chaudron, du lieutenant Nicolas Thevenot, de Rolampont, des sous-lieutenants Simon Maitre, de Goncourt, Brelet, de Langres, François-Victor Dauvé, de Richebourg, et Blaise Mathieu, de Liffol-le-Petit. Quatre d'entre eux figureront effectivement parmi les 32 officiers du bataillon, tandis que Mathieu sera sous-officier de grenadiers. 

Finalement, le bataillon est ainsi organisé. L'adjudant-major est un chef d'escadron de cavalerie retiré en Haute-Marne, Jean-Pierre de Morlant, né à Souilly (Meuse) en 1761. Frère aîné de l'illustre cavalier mort glorieusement à Austerlitz avec les chasseurs à cheval de la Garde impériale, Morlant était, sous l'Ancien Régime, officier au 5e régiment de chevau-légers. Il a épousé la fille d'un Dervois, et c'est à Montier-en-Der qu'est né, en 1783, un fils qui sera lui aussi un brave capitaine du 11e régiment de chasseurs à cheval, sous l'Empire. Lui-même fut, sous la Révolution, tout comme son benjamin, capitaine dans ce régiment, puis chef d'escadron dans la cavalerie de la Seine-Inférieure, avant de s'installer rapidement à Ceffonds comme cultivateur (c'était déjà le cas en l'an III de la République). Le quartier-maître, Antoine Chaudron, est un sergent-chef d'infanterie de ligne de 39 ans retiré à Bologne. 
 A l'exception d'un seul (Regnaut), les capitaines sont tous des officiers retraités. Moyenne d'âge : 42 ans. Le benjamin, Laurent Regnaut, commande la 1ère compagnie. Langrois de 24 ans, il était entré en service en 1804 dans la 69e demi-brigade d'infanterie de ligne. Rayé des contrôles en octobre 1807, il était passé en fait directeur d'un hôpital militaire. La création du bataillon lui permet donc de passer du grade de caporal (cassé) à celui de capitaine ! La 2e compagnie a pour chef un vétéran de l'expédition de Saint-Domingue : le Chaumontais Jean-Baptiste-François Guignard, 42 ans, ancien soldat du roi. Il était retiré à Vignory comme capitaine lorsqu'il a répondu à l'appel du préfet. Italien de naissance, Louis-Dominique-Michel-Ange Falcony, originaire des Etats du pape, s'était marié en 1794 à Trois-Fontaines-l'Abbaye, village marnais limitrophe de la Haute-Marne. Sous-lieutenant retiré à Villiers-en-Lieu, il hérite de la 3e compagnie. La 4e compagnie est aux ordres du capitaine François Belgrand, 45 ans, originaire de Sailly. Comme Guignard, Jacques-Auguste-Louis Husson, fils d'un procureur fiscal, qui dirige la 5e compagnie, est un Vangionnais (il a 36 ans). Chaumontais, Nicolas Remy, 50 ans, conduit la 6e compagnie : lui aussi a servi le roi, lui aussi a été officier dans les volontaires nationaux haut-marnais, et ce capitaine du 34e régiment d'infanterie de ligne a été congédié pour infirmité. A la 7, on retrouve comme capitaine un autre sous-lieutenant retraité, Jean-Baptiste Richalet, Wasseyen de 44 ans, ancien des volontaires nationaux de la Haute-Marne. A la 8, un capitaine pensionné bragard de 53 ans, Jean Deviterne, qui s'est marié l'année précédente. A la 9, Girardot, capitaine d'administration militaire retiré à Chaumont, âgé de 34 ans (sans doute Jean-Baptiste-Joseph, né à Serqueux en 1775, d'abord lieutenant de grenadiers). Enfin, la 10e compagnie est confiée à un autre Husson de Vignory, Louis (dit Husson l'aîné), lui aussi ancien du Bataillon de Chaumont. Comme son frère, il est incorporé avec ses compatriotes Jean-Baptiste Ladrange, 23 ans, Bernard Royer, 22 ans, et Mammès-Hubert Piot, 20 ans. Quant à la compagnie de grenadiers, elle est commandée par le doyen des capitaines, Claude-Charles Martel, Bragard de 57 ans. 
 De leur côté, les lieutenants et sous-lieutenants sont choisis parmi les hommes distingués, souvent jeunes, de ce département, et qui dans leur quasi-totalité n'ont jamais porté l'uniforme. Ainsi Charles-Alexis Pelletier, d'Eclaron, est le frère du général polonais, Prudent Simon de Bémont, le fils du maire de Rupt. Pierre Magnien, de Neuilly-l'Evêque, et Claude Delcey, de Chaumont, sont clercs de notaire. Comme Falcony, le sous-lieutenant Jacob Feitz, de Nogent, est étranger : il est né en Souabe il y a 45 ans. Il est d'ailleurs le seul des lieutenants et sous-lieutenants à être déjà officier. 

 Les Haut-Marnais qui composent ce bataillon sont originaires de tout le département. On peut noter, au gré des compagnies, certains caractères géographiques, mais sans exclusivité. Prenons l'exemple de la 1ère compagnie. Son capitaine et son sous-lieutenant (Jean-Baptiste Léonard) sont Langrois, mais le lieutenant (Feitz) vient de Nogent. Le fourrier, Charles Villeminot, est Chaumontais, et deux caporaux, François Colin et Georges Fèvre, viennent de Saint-Blin, tandis que la très grande majorité des fusiliers sont originaires du Sud-est haut-marnais (secteurs de Bourbonne, Varennes, Laferté-sur-Amance, Fayl-Billot). Ce qui n'exclut pas la présence de soldats résidant dans le centre et le nord du département, comme Pierre Ance, d'Epizon, François Beurnot, de Montier-en-Der, Joseph Laurent, de Saint-Dizier, etc. Parmi les hommes originaires du canton de Nogent (hors la cité coutelière), âgés de 19 à 25 ans, certains sont affectés à la 3e compagnie, d'autres à la 7e ou à la 10e. Il est à noter que la commune de Louvières est l'une des plus prodigues en soldats de la garde nationale : sont partis pour Saint-Omer André-Nicolas Chrétiennot, Etienne, François et Jean Demongeot, Jacques Michel, Claude et Jacques Poinsot, Claude Guye (qui sera renvoyé). 

 La majorité des gardes nationales sont âgés de 21 à 23 ans. Parmi les 103 hommes de la compagnie Regnault, les benjamins sont le fourrier Villeminot, 18 ans, et Nicolas Chevaillier, de Fayl-Billot, 19 ans, tandis que les doyens se nomment Nicolas Semelet, de Rivière-le-Bois, Claude Collin, de Tornay, et Nicolas Figuet, de Genevrières, tous âgés de 25 ans. A la compagnie de grenadiers, le doyen est François Legros, d'Ageville, 32 ans, devant Pierre Le Moine, de Richebourg, 28 ans, et Louis Pierret, de Montier-en-Der, 27 ans. A l'échelle du bataillon, le benjamin n'a que 16 ans. Il s'appelle Laurent-Jules-Maximin-Amédée François, né le 6 avril 1793 à Bourbonne-les-Bains, fils d'un avoué chaumontais, Jules François, qui autorise l'adolescent à s'enrôler, par lettre du 29 août. (A suivre).