vendredi 29 janvier 2010

Itinéraire d'un garde national

Parmi nos ancêtres directs en âge de porter les armes sous l’Empire (quinze, nés entre 1779 et 1791, ont été identifiés), nous n’avons, pour l’heure, pas trouvé trace de soldats de la Grande-Armée. Au moins quatre, convoqués avec leur classe, ont échappé à l’incorporation, soit parce qu’ils ont été réformés, soit parce qu’ils ont tiré le bon numéro. Et pour la plupart des autres, le fait qu’ils se soient mariés sous le Consulat et l’Empire tend à nous faire penser qu’ils ont évité la condition de militaire.
Toutefois, deux ont porté l’uniforme : pour l’un, Pierre Michelet, celui de la garde nationale ; pour l’autre, Jean-Pierre Remy (de Saint-Dizier), celui – brièvement – de la compagnie de réserve.

Pierre Michelet est né le 17 juin 1789 à Chevillon, arrondissement de Wassy, département de la Haute-Marne. Comme son père, Pierre (époux d’Edmée-Françoise Charpentier), il exerce la profession de vigneron dans ce chef-lieu de canton, lorsqu’il est convoqué avec la classe 1809, au printemps 1808. Le tableau des conscrits de l’arrondissement le présente ainsi : une taille de 1,654 m, les cheveux châtain, les yeux brun, le front haut, le nez gros, une fossette au menton, le visage rond et légèrement marqué par la petite vérole. Dans son canton, Pierre Michelet tire le numéro 44, et n’est donc appelé ni pour l’armée, ni pour la réserve. En outre, il est réformé à la suite d’une réclamation qu’il a portée, puisque selon une décision prise à Wassy le 15 mars 1808, il présente une « fracture à la partie moyenne du fémur de la cuisse gauche ».

Cinq années se passent. Après les revers de Russie et de Saxe, alors que la France apparaît comme le prochain théâtre d’opérations de la Grande-Armée, une cohorte des gardes nationales est levée dans le département (par décret du 21 octobre 1813). Des demi-cohortes sont organisées pour être destinées à être dirigées sur l’Alsace afin de défendre le Rhin. Au 11 novembre 1813, cinq sont déjà parties. Deux autres s’apprêtent à le faire.

Mais le contingent fixé à la Haute-Marne est loin d’être complet. Voilà pourquoi des détachements supplémentaires sont exigés. C’est ainsi que le 13 décembre 1813, un contingent de 125 hommes de l’arrondissement de Wassy quitte cette ville pour Chaumont, sous la conduite d’un Joinvillois de 24 ans, Martin Drouin, qui remplit les fonctions de lieutenant. Au sein de ce détachement, l’on retrouve Pierre Michelet, 24 ans, vigneron de Chevillon.

Le doute n’est pas permis : c’est bien notre homme. Il y a bien un autre Michelet dans le village, mais il est prénommé Jean-Modeste : c’est son frère, et il a alors 27 ans. Il y a certes, dans l’arrondissement, un vigneron nommé Pierre Michelet, mais il a 27 ans lui aussi, il est originaire de Saint-Urbain, et en outre il s’est fait remplacer au moment de la levée de la cohorte.

Le 14 décembre, au lendemain de l’arrivée du contingent wasseyen, est organisée à Chaumont une nouvelle demi-cohorte, la 8e, composée de deux compagnies : une de grenadiers, une de chasseurs. Elle est sous les ordres de Jean-Remy George, un capitaine retraité de 48 ans, originaire de la Marne, membre de la Légion d’honneur.

Les gardes nationales supplémentaires de l’arrondissement de Wassy y sont affectés, puisque Drouin est désigné lieutenant de la 1ère compagnie de grenadiers (avec pour sergents Bruant, Jean-Baptiste Thoma et Pierre Charles) de cette demi-cohorte, laquelle fait mouvement à son tour pour l’Alsace le 17 décembre. Elle arrive à Strasbourg le 30 décembre, où, à 23 h, elle reçoit l’ordre de partir le lendemain pour Neuf-Brisach, que défend le 1er régiment de la Haute-Marne du colonel Nicolas Baptault, issu des demi-cohortes haut-marnaises. Elle y parviendra le 2 janvier 1814. Mais «beaucoup (de gardes nationales) sont retournés chez eux», indique-t-on dans un courrier reçu par la préfecture. Ainsi, la 1ère compagnie de chasseurs a été quittée par 29 « déserteurs » et ne compte plus que 73 présents, la 1ère compagnie de grenadiers 73 présents également.

Pierre Michelet est bien présent. Comme la plupart de ses camarades, il est affecté à la 2e compagnie de grenadiers du 4e bataillon, initialement composée de gardes nationales du sud-est haut-marnais, commandée par Jean-Baptiste-Hilaire Guyot puis par Deviterne. Le Chevillonnais n'y restera que deux mois, puisque le 5 mars, il passe au 9e régiment d'artillerie à pied, comme deux autres grenadiers de sa compagnie. C'est une certitude : il a donc bien défendu Neuf-Brisach. Durant les Cent-Jours, pour faire face à une nouvelle invasion alliée, trois bataillons de grenadiers, dits d’élite, de la garde nationale sont mis sur pied en Haute-Marne. Le 3e est organisé par l’arrondissement de Wassy. Il est commandé par un jeune chef de bataillon de 30 ans, vétéran des campagnes d’Espagne où il a été blessé à deux reprises, Maxime Pierret, natif de Thonnance-lès-Joinville. Il comprend six compagnies, la 6e étant sous les ordres du capitaine Dominique Mollet (de Wassy), qui a pour lieutenant Martin-Joseph Drouin… c'est-à-dire l’ancien chef du contingent de 1813.

C’est dans cette compagnie que figure, depuis le 13 mai 1815, le fusilier Pierre Michelet, 28 ans, de Chevillon, matricule 678. On remarquera la différence d’âge, puisque notre ancêtre n’en a en fait que 26. Mais nous l’avons dit : nous n’avons pas trouvé trace, dans l’état civil, d’un homonyme originaire de Chevillon. Ce Pierre Michelet-là ne peut donc être que notre aïeul, lequel est muté, lui l'ancien artilleur à pied, le 1er juin 1815 dans la compagnie d’artillerie de la garde nationale, commandée par le capitaine en retraite Hilaire Mugnerot, d’Autreville-sur-la-Renne. Celle-ci, forte de 93 canonniers, défend la place de Langres, en compagnie du 3e bataillon, resté seul, après le départ, en juin 1815, pour Paris, des 1er et 2e.

La place capitulera en juillet 1815. Démobilisé, Pierre Michelet se mariera le 27 novembre 1815 à Laneuville-à-Bayard, avec Marie-Anne Briolat (native d’Avrainville), en présence notamment de son frère Jean.
Il s’établira ensuite à Avrainville, où naîtra en 1818 une fille, Marie-Claude-Séraphine, qui épousera Vinebaud Sauvage. Il décédera dans ce village le 15 mai 1863, à l’âge de 74 ans.
Dernier mystère : Pierre Michelet ne sera pas médaillé de Sainte-Hélène. A la différence d’autres médaillés ayant servi dans la garde nationale en 1815, n’a-t-il pas jugé utile de faire acte de candidature ?

lundi 25 janvier 2010

Les officiers de la famille de Philippe Lebon

L’inventeur Philippe Lebon est une des gloires du département de la Haute-Marne.
Né à Brachay en 1767, mort à Paris en 1804, ce chimiste a mis au point le « thermolampe », système d’éclairage obtenu grâce au gaz. Ceci est un fait acquis.
Ce que l’on sait moins, c’est que quatre membres de sa famille ont servi dans les armées impériales.
D’abord son fils, Henri-Hippolyte, dit – comme lui - Lebon d’Humbersin. Né vers 1792, polytechnicien de la promotion 1812, il rejoindra comme officier le corps de l’artillerie. Coïncidences : deux de ses filles naîtront à Saint-Dizier où vit une partie de sa famille (les Gaudry). Il est en effet l’époux d’Eugénie Rougelet, qui sera directrice des Postes dans la cité bragarde. D’ailleurs, quand naîtra Henriette, en 1821, s’il est qualifié de capitaine d’artillerie à Mutzig, c’est à Saint-Dizier qu’est située sa résidence. Et c’est dans la cité haut-marnaise qu’une autre fille, Laure, se mariera en 1852. Mais Henry-Hippolyte n’assistera pas à cette union : il est mort lieutenant-colonel à Paris, en 1847. Toute sa vie, il s’est employé à rendre justice aux inventions de son père, injustement oubliées.
Fils de Louis-François, avocat, et de Marie-Marguerite Lacapelle, Nicolas-Victor Lebon est un neveu de l’inventeur. Né le 31 octobre 1789 à Brachay, il est destiné à une carrière militaire. Le 18 juillet 1807, à 18 ans, Nicolas-Victor intègre l’école spéciale de Fontainebleau. Promu lieutenant le 28 juillet 1813, il sert au 45e de ligne, dans les rangs duquel il est blessé le 8 octobre 1813 à Dresde. Toujours avec ce corps, l’officier est à nouveau mis hors de combat le 18 juin 1815 en Belgique. De s’être rallié à Napoléon durant les Cent-Jours ne l’empêche pas de trouver un emploi dans les amées du roi Louis XVIII. Officier dans la légion du Bas-Rhin, qui deviendra 34e de ligne, il prend sans doute part à l’expédition d’Espagne de 1823, puisqu’il est fait chevalier de Saint-Ferdinand de ce royaume. Capitaine la même année, il sert encore au 34e en 1830. Retraité, il retourne en Haute-Marne et se marie en 1831 à Leschères-sur-le-Blaiseron, avec Anne-Célanie Vallet, fille d’un notaire. Nicolas-Victor Lebon s’établit dans son village natal de Brachay, où ce chevalier de la Légion d’honneur reçoit la médaille de Sainte-Hélène et où il meurt le 16 mai 1869, dans sa 80e année.
Son frère Marie-Joseph ne voit pas le jour à Brachay, mais à Cirey-sur-Blaise, le 21 février 1795. Il est désigné le 1er mai 1813, par le préfet de la Haute-Marne, pour le 2e régiment de gardes d’honneur. Propriétaire à Brachay, il est désigné sous-lieutenant dans la garde nationale de la Haute-Marne le 24 juin 1815, durant les Cent-Jours. Gendarme du roi, il se marie en 1822 à Juzennecourt. Deux ans plus tard, Marie-Joseph Lebon quitte l’armée et vient résider dans ce chef-lieu de canton de l’arrondissement de Chaumont. Lui aussi sera médaillé de Sainte-Hélène et décédera à Juzennecourt le 30 mars 1885 (sous la IIIe République), à 90 ans.
Fils de Joseph Gaudry, avocat également, et de Marie-Marguerite-Victoire Lebon, qui se sont mariés à Brachay, Jean-François-Augustin Gaudry, né à Saint-Dizier le 31 décembre 1791, est le cousin des précédents. Comme Nicolas-Victor Lebon, il est élève à l’école de Fontainebleau. Officier, il meurt lors de la Campagne de Russie.

Illustration : statue de Philippe Lebon dans le square éponyme situé à Chaumont (photo Lionel Fontaine)