lundi 23 avril 2018

L'adjudant général Tabary, un Joinvillois mort sous la guillotine


Originaire d'Arras, né vers 1759, Philippe-Joseph Tabary est devenu Haut-Marnais par son mariage. Fils de Pierre-Ghislain, originaire de Bailleulmont (Pas-de-Calais), et de Marianne Duhamel, il a en effet pris pour épouse, le 18 octobre 1784, à Wassy, Margueritte-Elisabeth Rassenet, fille d'un blanchisseur. La profession du jeune marié, originaire de la paroisse Sainte-Croix d'Arras, n'est pas précisée dans l'acte, pas plus qu'au moment du baptême de son fils Philippe-Guislain-Joseph, né dans la paroisse Saint-Géry d'Arras le 2 décembre 1785. 

C'est à Joinville que la famille vient s'installer. Tabary, qui mesure 1,72 m, a 32 ans lorsqu'il se porte volontaire pour défendre la patrie le 18 septembre 1791 en mairie de Joinville, au moment de la formation du 1er bataillon de volontaires nationaux de la Haute-Marne. S'il rejoint cette unité, il y sert peu, puisque Pierre-Gérard Jacquot ne le mentionne pas parmi les cadres de l'unité en 1793. On le retrouve cette année-là comme adjoint aux adjudants-généraux. Tabary sert à l'armée de l'Ouest, lorsque, d'après Baguenier-Désormeaux («Kléber en Vendée»), le général Rossignol, «d'après la connaissance certaine qu'il avait de son patriotisme et de sa bravoure», demande pour lui, au ministre de la Guerre, le grade d'adjudant-général, le 29 août 1793. 

Commandant à Saint-Georges-sur-Loire, le Joinvillois fait l'objet d'une première demande d'arrestation, le 5 octobre 1793, par le Comité de surveillance et révolutionnaire d'Angers. Ce qui ne l'empêchera pas de combattre quelques jours plus tard contre les Vendéens marchant sur Nantes et Angers. Dès 1809, un récit raconte que le 18 octobre 1793, 2 à 3 000 Vendéens, «arrivés les premiers à Varades, avaient repoussé jusqu'aux portes d'Angers le peu de troupes que leur avait opposé l'adjudant-général Tabary, défendant le poste d'Ingrandes. Tabary perdit deux canons...» Lorsque les éclaireurs ennemis se replièrent sur Caudé, «l'adjudant Tabary et le commissaire Duverger les suivirent, et s'engagèrent imprudemment à trois lignes de l'armée, sans pouvoir être soutenus. Arrivés à Ingrandes, ils mirent pied à terre. Les éclaireurs vendéens filèrent pour les envelopper dans les vignes qui bordaient la route. L'adjudant général Tabary s'élance sur son cheval et fuit au grand galop. Le commissaire Duverger voulut le suivre, mais sa selle tourna et le fit tomber. Il reçoit dans cet instant un coup de fusil...» Le malheureux est achevé, tandis que «les hussards républicains se sauvèrent à bride abattue vers Chantocé...»

Ce revers valut à Tabary d'être de nouveau arrêté et emprisonné à Angers. Dans le Bulletin historique et monumental de l'Anjou, M. du Réau, autre détenu de cette période tourmentée, raconte : «Le général Tabary, qui partageait notre sort quoique forcené républicain, élève la voix et dit : Camarades d'infortune, voici le moment le plus critique, il ne convient de témoigner ni crainte ni espérance, soyons calmes. Ce général Tabary, qui était accusé d'avoir abandonné le poste d'Ingrandes aux Vendéens, était furieux de se croire confondu avec des royalistes ; il murmurait et jurait à tous moments contre l'ingratitude de son parti. Oui, me dit-il, toujours j'ai tout sacrifié pour la république ; j'étais à Sedan (sic) à la tête d'une manufacture d'amidon, je me suis engagé avec 40 de mes ouvriers, et voilà le prix de mon dévouement».

Traduit devant la justice révolutionnaire, «malgré tout l'étalage de ses services et la jactance de son habit qui lui était ordinaire» (du Réau), l'officier «subit son arrêt en criant vive la République». Condamné à mort le 3 février 1794, il est guillotiné le lendemain, place du Ralliement à Angers. Le Mercure précisera qu'il était «convaincu de haute trahison dans (son) commandement», comme le général Destimanville.

Quelques jours plus tard, le 15 février 1794, le Comité de surveillance de la commune de Joinville vient poser des scellés sur la demeure de l'adjudant général Tabary. La confiscation des biens est justifiée par le fait que l'officier «vient de subir la peine de mort pour trahison par lui commise dans le commandement de l'armée à laquelle il était attaché». L'on apprend, par l'acte, que sa veuve ne réside plus dans la demeure : son état de santé l'a amenée en effet à loger chez un prêtre voisin, Andoire. Les scellés seront finalement levés quinze jours plus tard. Ce compte-rendu permet d'apprendre que la maison Tabary donnait sur le faubourg du Grand-Pont, que l'homme louait également une grange au quai des Péceaux et une maison du faubourg de Lorraine, enfin qu'il avait signé une séparation de biens avec son épouse le 10 juillet 1790 et qu'il possédait bien un étal d'amidonnerie, sans qu'il soit précisé s'il était situé à Joinville  ou en un autre lieu.

Concluons cette évocation en signalant que la famille Tabary restera attachée à la cité, puisqu'au moment d'être mis en demi-solde, le fils Philippe-Ghislain-Joseph, devenu capitaine d'infanterie légère de Napoléon, s'y retirera provisoirement en 1814 et 1815, avant d'être admis dans l'armée du roi.