mercredi 10 mars 2010

La curieuse destinée du général "Brassager"

Dans ses écrits, l'historien Jean Carnandet, repris par Alcide Marot, évoquait, parmi les enfants de Bourmont, un certain François-Félix Demange, né à la fin du XIXe siècle, fils d’armurier, qui a pris part à la campagne d’Espagne, est devenu officier, membre de la Légion d’honneur, s’est battu en Algérie puis surtout, après avoir été journaliste, aurait rejoint l’armée portugaise du roi Miguel, au sein de laquelle il serait mort, comme général, à l’attaque d’un pont, sous le pseudonyme de Brassager !
Si l’histoire est véridique, ce serait là une bien curieuse destinée.

Elle est authentique. Il existe bien un François-Félix Demange, membre de la Légion d’honneur, né non pas à Bourmont, mais à Aix-la-Chapelle, le 30 janvier 1799. Il est le fils de Hyacinthe Demange, militaire tombé le 2 mai 1813 à la bataille de Lutzen, et d’Isabelle-Victoire-Joséphine Behaghel. Il ne fait aucun doute qu’Hyacinthe Demange était Haut-Marnais d’origine (les Demange sont légion à Poissons, par exemple), puisque sa veuve est située à Clefmont, en 1820.

Si l’on en croit son dossier de légionnaire, François-Félix aurait été soldat au 1er régiment d'infanterie légère dès l’âge de 10 ans (en 1809), et promu sergent-major à seulement 14 ans ! Il prend en effet part à la Campagne d’Italie de 1813-1814 et est blessé le 12 mars 1814. Passé au 6e régiment d’infanterie de la garde royale (commandé par un Haut-Marnais), garde de corps du roi avec rang de sous-lieutenant en 1820, il participe effectivement à l’expédition d’Espagne de 1823, comme sous-lieutenant de grenadiers du 34e régiment d'infanterie de ligne.
Là s’arrête l’énumération de ses états de services dans son dossier.

C’est alors que L’Ami de la religion nous est d’un grand secours. Dans sa revue de presse, cette publication évoque l’existence d’un Français nommé Brassager qui, major se battant aux côtés de Miguel, roi du Portugal (en conflit avec son frère), a été promu lieutenant-colonel après sa conduite au siège d’Oporto, le 25 juillet 1833. L'officier correspondrait à un ancien chef vendéen nommé Diot. Faux, rétorque une publication marseillaise, La Gazette du Midi : elle affirme que « Brassager » n’est pas Diot, et qu’elle connaît, sans la révéler, sa véritable identité. Et pour cause ! De Mange (sic) est un de ses gérants… Il était même recherché, pour ses écrits, par la police marseillaise. Est-ce la raison de son départ pour le Portugal ? Toujours est-il, selon L’Ami de la religion, que « Brassager », après Oporto, après des combats devant Lisbonne, après s’être battu sur le Tage, après avoir coulé un bateau appartenant à don Pedro, a été tué, comme général de brigade aide de camp de don Miguel, à l’affaire de Santarem, le 18 février 1834.
Ainsi aurait pris la fin la destinée d’un Haut-Marnais d’origine, sous-officier à 14 ans, officier de l’armée du roi Louis XVIII puis de Louis-Philippe, journaliste et général portugais…

PS : l'excellent site de Frédéric Berjaud, "Soldats de la Grande-Armée" (http://frederic.berjaud.free.fr/), qui donne un historique détaillé du 1er léger, confirme la présence, comme maître armurier, au sein de ce régiment, en 1807, d'un certain Nicolas Demange, né en 1772. Sans doute le père de François-Félix, ce qui expliquerait la présence de ce dernier au sein du 1er léger.

mardi 9 mars 2010

Le raid du général Piré dans la vallée de la Marne

Du 22 au 29 mars 1814, la division de cavalerie légère du général de Rosnyvinen de Piré, un ancien chouan breton de 36 ans, a mené un véritable raid le long de la vallée de la Marne, dans le département de la Haute-Marne alors occupé par les troupes alliées. Cela commence par un « hurrah » dans les rues de Saint-Dizier puis, via Joinville et Cirey-sur-Blaise, se poursuit par l’entrée dans Chaumont et une pointe poussée jusqu’à Langres. Ce raid explique que la division Piré ne soit pas présente au combat de Saint-Dizier du 26 mars.
La relation qu’en a faite l’adjudant-commandant Petiet, chef d’état-major de la division, a cet intérêt de montrer tout le patriotisme dont faisaient preuve les Haut-Marnais.

Cette division se composait du 3e hussards, aux ordres du capitaine Barthélémy puis du chef d’escadron Roux, du 27e chasseurs à cheval du major Muteau, du 14e chasseurs du chef d’escadron Arnaudet, et du 26e chasseurs, dont le colonel Miller a été tué à Saint-Dizier le 27 janvier 1814 puis dont le chef d’escadron Müller puis le colonel Robert ont pris le commandement.

"Le 22 (mars), le 5e corps de cavalerie se met en marche à six heures du matin, et reprenant le chemin de Vitry, se dirige vers cette place. En arrivant sur la Marne, nous trouvons l'empereur qui nous avait précédés avec une partie de sa garde. Il ordonne au comte Milhaud (Note : général commandant le 5e corps de cavalerie) de passer la rivière à gué, de se mettre en bataille avec ses dragons vis-à-vis de Vitry, qui était occupé par une garnison russe, de sommer le gouverneur de se rendre, en le prévenant que s'il s'y refusait, il serait enlevé de vive force. Ce gouverneur ne se laissa pas intimider. Cependant les colonnes de l'armée arrivaient successivement ; Napoléon fait appeler le général Piré, lui dit de joindre à sa division une brigade de dragons et une demi-batterie d'artillerie légère, puis, malgré l'heure avancée et la longueur du chemin, de se rendre avant la nuit à Saint-Dizier, de s'emparer de cette ville et d'en chasser l'ennemi qui y avait établi un grand dépôt. L'empereur prévient en même temps le général Piré que la cavalerie sous ses ordres formera la tête de colonne, et qu'il sera immédiatement soutenu par les généraux Defrance (Note : ce Wasseyen commande les gardes d’honneur) et Saint-Germain.
Surprise de Saint-Dizier.
La division passe le gué de la Marne, se jette sur la grande route de Vitry à Saint-Dizier, et marche avec célérité sur cette dernière ville. Un officier d'état-major, qui nous rejoint à quelque distance, arrête la brigade Ludot (Note : des dragons du 5e corps de cavalerie) par ordre supérieur. Nous regrettons beaucoup les deux braves régiments qu'on nous ôte ; mais nous continuons notre entreprise avec la même ardeur et la même confiance. Les renseignements que nous recueillons en route et particulièrement à Perthes, nous font connaître que l'on ne nous attendait pas à Saint-Dizier, et que nous avons toute certitude d'y surprendre l'ennemi. Un bataillon russe et un bataillon prussien, appuyés d'un certain nombre de cosaques composaient la garnison de la ville. Un équipage de pont du général russe comte de Langeron venait d'en partir pour Joinville, et tous les débouchés de Saint-Dizier étaient encombrés de voitures russes, de vivres et de bagages. Le général Piré, qui connaissait bien les localités, se décide à risquer une charge dans la ville ; il en fait prévenir le général Defrance, et l'avertit qu'environ 200 chevaux d'attelage ou de cosaques sont occupés à fourrager sans aucune précaution à Haute-Fontaine et Ambrière-sur-Marne, villages à une demi-lieue à droite de la route. Il l'engage à couper leur retraite sur Saint-Dizier, et à tâcher de s'en rendre maître. La charge s'exécute avec succès dans la ville, aux acclamations des habitants ; les deux bataillons ennemis attaqués au moment où ils essaient de se former, sont entièrement sabrés ou pris, et on s'empare de deux à trois cents voitures. Le colonel Lebailly, commandant la place pour les Prussiens (Note : nous n’avons trouvé aucun renseignement relatif à cet officier sans doute Français ou d’origine française), reste au nombre des morts. Son adjudant et le commissaire des guerre sont faits prisonniers : nous prenons encore 900 hommes, 300 chevaux et les magasins. La division poursuit les Cosaques dans la direction de Ligny et de Joinville. On atteint aussi quelques fuyards ainsi que l'équipage de pont. Le général Subervie (Note : brigadier dans la division Piré. En théorie, il commande le 3e hussards et le 27e chasseurs) s'empare, sur la route de Joinville, de six charrettes chargées de pain. Les paysans, qui avaient beaucoup souffert des excès de l'ennemi, arrivèrent en foule, firent des prisonniers et se jetèrent sur les bagages et l'équipage de pont qu'ils pillèrent et brûlèrent avant qu'on put y mettre ordre. D'un autre côté, le général Defrance avait fait de si bonnes dispositions, qu'il enleva les 200 fourrageurs ennemis. Le général comte Saint-Germain s'était arrêté à Perthes. Les généraux Piré et Defrance, avec leur cavalerie, occupèrent Saint-Dizier en se gardant sur tous les points, la campagne étant remplie des partis de l'armée alliée. Les habitants de Saint-Dizier nous reçurent avec la plus vive allégresse, et s'empressèrent de donner à nos troupes tous les secours et vivres qui leur furent nécessaires.
L'empereur, dont le quartier-général était à Frignicourt, ayant reçu le rapport de cette affaire, en fait témoigner sa satisfaction par le major-général.
II détache aussitôt la division du ( ?) corps de cavalerie ; informe le général Piré des mouvements de troupes qu'il projette pour les jours suivants, et lui enjoint de marcher sur Joinville et de jeter des partis sur la route de la Lorraine et de Chaumont. Nous sommes chargés de détruire les nombreux dépôts de l'ennemi établis dans ces diverses contrées et surtout d'intercepter ses communications ; c'était la conséquence de la marche qu'on venait de faire et qui avait coupé sa ligne d'opération.
La division ne comptait plus que 450 chevaux fatigués par une campagne fort active. Nous ferons connaître comment elle exécuta ces instructions avec si peu de monde.
Le 23, à six heures du matin, on rallie les régiments; nous suivons le chemin de Joinville. Nous y arrivons sans obstacle. L'officier autrichien qui commandait cette place s'enfuit à notre approche avec une soixantaine de cavaliers, mais si précipitamment, qu'il n'a pas le temps de faire prévenir un détachement de 80 gardes du corps prussiens, cantonnés au village de Mathons, à deux lieues de la ville. Ces jeunes gentilshommes arrivaient de Prusse pour rejoindre leur armée. Un parti des 3e de hussards et 26e de chasseurs, commandé par le colonel Robert (Note : il a succédé au colonel Miller, tué à Saint-Dizier le 27 janvier 1814, puis au chef d’escadron Müller), se porte sur le champ vers le point indiqué. Les Prussiens, dans la plus parfaite sécurité, sont pris dans les diverses maisons du village, sans faire aucune résistance. Amenés à Joinville, 100 chevaux de race sont répartis dans la division, et cette remonte double le prix de notre succès. Le général comte de Saint-Germain, qui nous avait suivi, s'était posté avec son corps de cavalerie à Eurville. Vingt-cinq hommes de la garde nationale conduisirent les prisonniers à Saint-Dizier. Dans la nuit nous reçûmes l'ordre de revenir sur Doulevant et d'y précéder l'armée qui devait s'y rendre dans la journée du 24.
Nous marchons jusqu'à la hauteur de Courcelle (Note : sans doute Courcelles-en-Blaise), sans avoir de nouvelles de l'ennemi. Notre escadron d'avant-garde l'ayant rencontré sur le chemin de Doulevant, prend une centaine de Bavarois, des officiers supérieurs, des voitures richement chargées et quelques beaux chevaux de main. Ce détachement bavarois se rendait au dépôt général des alliés à Nancy. Les habitants de Doulevant nous indiquent les établissements de l'ennemi, et nous préviennent que nous pourrons lui faire beaucoup de mal, parce qu'il ne soupçonne pas notre présence. On nous informe qu'il a un grand dépôt à Chaumont ; que 450 voitures de vivres et de fourrages sont réunies à Colombey-les-Deux-Eglises, sur le chemin de Bar-sur-Aube à Chaumont ; enfin, que des officiers d'état-major vraisemblablement blessés ou malades, se trouvent avec leurs chevaux de main, et leurs équipages dans les villages sur la route de Doulevant à Bar-sur-Aube, et dans la vallée de Cirey. Nous envoyons aussitôt des patrouilles dans ces directions, et le grand quartier-général étant arrivé à Doulevant, la division se place à Daillancourt, en passant par Cirey. Les éclaireurs rentrent en ramenant des prisonniers, des chevaux et des voitures. Un grand nombre de lettres particulières de l'ennemi tombent en nos mains, et nous font connaître combien les étrangers sont irrités contre la France, et surtout contre Napoléon.
Le 23, tandis que la division Hcnrion, de la Jeune garde, occupait Bar-sur-Aube, nous nous séparons de nouveau de l'armée qui rétrogradait sur Saint-Dizier. L'empereur, avec le peu de forces qui lui restait, avait espéré éloigner de la capitale le théâtre de la guerre, en donnant de l'inquiétude aux alliés sur leurs communications avec le Rhin. Ceux-ci n'avaient fait suivre l'armée française que par le corps de Wintzingerode, et s'étaient dirigés en masse vers Paris. D'après les dispositions de Napoléon, les maréchaux ducs de Trévise (Note : Mortier) et de Raguse (Note : Marmont, commandant le 6e corps), placés sur la Marne, devaient venir nous joindre avec leurs troupes à Saint-Dizier ; mais ils rencontrèrent l'ennemi en force supérieure, qui les fit replier avec perte sur la capitale. Les rapports des prisonniers ayant fait soupçonner à l'empereur le véritable mouvement des alliés, il rétrograda pour s'en assurer, et poussa une forte reconnaissance sur saint-Dizier.
Pendant ce temps, la division de cavalerie légère prend la route de Chaumont, par Colombey-Ies-Deux-Eglises. Nous nous emparons, chemin faisant, d'une soixantaine de fourrageurs, parmi lesquels se trouvent des officiers russes. Nous apprenons que l'ennemi a occupé Vignory la veille avec 500 chevaux qui en sont partis le matin pour se retirer à Cliaumont. La plus grande confusion régnait dans cette dernière place depuis 24 heures ; à la nouvelle de notre approche, on s'était hâté d'évacuer sur Langres les troupes et le matériel. Ces détails nous furent confirmés à notre arrivée à Juzennecourt par un postillon de Chaumont, expédié à cette poste comme estafette avec le paquet de la correspondance des alliés. Le général de division envoya ce paquet par un aide-de-camp, au major-général (Note : Berthier). Nous entrâmes à Chaumont qui ne nous fut point disputé. Une de nos reconnaissances dirigée sur Langres, rendit compte que l'ennemi s'y retranchait et qu'il y réunissait quelques troupes. L'empereur d'Autriche avait quitté Bar, la veille, peu de temps avant l'arrivée des Français, et s'était rendu à Dijon. Les autres patrouilles rapportèrent que l'esprit du pays était excellent, qu'elles avaient été reçues partout avec enthousiasme, qu'on leur donnait avec empressement tous les renseignements possibles, et que les habitants, indignés de l'oppression des troupes étrangères, demandaient des armes et voulaient combattre avec nous.
La journée du 26 est employée à envoyer des partis et des estafettes sur tous les points. Le bruit de notre arrivée s'étant rapidement répandu dans le pays, les maires des communes les plus rapprochées s'empressent de nous adresser des courriers, pour nous faire part des bonnes dispositions des habitants. Ils nous offrent leurs services et sollicitent leur armement, afin de chasser les alliés dont la conduite, dans cette partie de la France , a exaspéré tous les esprits. On envoie ces renseignements au quartier impérial, en même temps qu'un nouveau paquet de la correspondance de l'ennemi. Le maître de poste de Clefmont, qui nous l'apporte, nous remet aussi une circulaire de M. le comte d'Alopéus, gouverneur de la Lorraine pour les Russes (Note : David, comte d’Alopeus, diplomate russe né en 1769). Cette circulaire prescrit aux maîtres de poste sur la ligne, de tenir prêts 20 chevaux pour le passage de personnages importants, qui doivent partir de Nancy le 26 au matin, pour se rendre près des souverains alliés.
Pendant que nous cherchions à deviner quels pouvaient être ces personnages importants, et qu'on se perdait en conjectures, un exprès de Neufchèteau nous instruisit que les voyageurs venaient d'y arriver; c'étaient des agents diplomatiques, et on tâchait par toutes sortes de moyens, de leur cacher notre présence à Chaumont. L'exprès ajouta que leur intention étant de partir le lendemain pour cette ville, ils ne pouvaient manquer d'être pris. D'après ces renseignements, un détachement du 27e de chasseurs se mit en marche par la traverse pour se rendre à Prey (Note : Prez-sous-Lafauche), en laissant Andelot sur la gauche. L'officier avait l'ordre le plus formel de veiller à la sûreté des voyageurs, et de les amener le plus promptement possible au quartier-général de la division ; mais déjà une troupe nombreuse de paysans, armés pour la défense de leur territoire, s'était réunie à Morvilliers (Note : dans les Vosges) et s'y était placée en embuscade. Le corps diplomatique parti de Neufchâteau sans aucune défiance le 27 dans la matinée, et occupant cinq voitures, dont deux à six chevaux, fut arrêté par ce rassemblement, en entrant à Morvilliers. l1 y eut d'abord un grand tumulte ; cependant le convoi se mit en marche pour Chaumont, sans avoir éprouvé aucun mauvais traitement. Le détachement de chasseurs qui se trouvait à Prey (Note : Prez-sous-Lafauche), le prit sous son escorte, et il entra à Chaumont à huit heures du soir. Ces agents diplomatiques, accompagnés d'une douzaine de domestiques, étaient au nombre de huit, savoir : pour l'Autriche, M. le baron de Wesseinberg, ministre plénipotentiaire à Londres, et M. le comte de Palfi, secrétaire d'ambassade, arrivant tous les deux d'Angleterre ; pour la Suède, M. le lieutenant-général de Skiœldebrand, porteur d'une lettre autographe du prince royal de Suède pour l'empereur Alexandre ; un ministre du roi de Prusse venant de Francfort ; deux officiers de la garde impériale russe porteurs de dépêches de Saint-Pétersbourg, et deux autres envoyés ou secrétaires d'ambassade des cours allemandes (Note : selon Alfred de Beauchamp, il s’agit de Wissemberg, ministre d’Autriche en Angleterre, le comte Palfi, son secrétaire de légation, Skioldebrand, ministre de Suède auprès de l’empereur de Russie, Peguilhen, conseiller de guerre prussien, MM. De Tolstoï et de Marcof, officiers d’ordonnance russes. Ces diplomates ont été capturés en fait à Saint-Thiebault, près de Bourmont. Selon la préfecture de la Haute-Marne, un agent des Eaux et Forêts de Bourmont, Henrys, et un négociant bourmontais, Baudoin, sont les principaux acteurs de cette capture.)
Le baron de Vitrolles, envoyé du comte d'Artois, se trouvait avec les ambassadeurs ; sa présence d'esprit le fit sortir d'une position qui aurait pu avoir pour lui les suites les plus funestes. Redoutant d'être reconnu, il conçut le projet, qu'il exécuta à la tombée de la nuit, de se revêtir d'une des capotes de livrée de l'ambassadeur d'Autriche, et il put sur la route et sans se faire remarquer du groupe nombreux et tumultueux qui entourait les voitures, lacérer successivement les papiers qui pouvaient le compromettre. A Chaumont, placé au milieu des domestiques, le baron de Vitrolles fit partie d'une troupe de prisonniers dont il s'évada le lendemain.
Les ambassadeurs remettent les portefeuilles contenant leurs dépêches et instructions au général Piré qui les confie à son chef d'état-major pour les porter à l'empereur. Le corps diplomatique se place sur un grand char-à-bancs qui avait amené les domestiques. Attelée de quatre chevaux de poste, escortée par 50 hussards, la voiture part vers onze heures du soir pour Saint-Dizier; à Joinville, le détachement est relevé par une escorte de gardes d'honneur. Le lendemain 28 à neuf heures du matin, les postillons s'étaient arrêtés au pont de Saint-Dizier sur lequel passait un long convoi d'artillerie, le colonel Pétiet leur prescrit de prendre le gué le long du pont ; ils venaient d'obéir, quand une petite roue de la voiture se détache et tombe dans la rivière. De l'autre côté de ce pont se trouvait la maison occupée par l'empereur qui, en ce moment, la lorgnette à la main, placé à une fenêtre, voyait défiler le convoi d'artillerie ; les uniformes étrangers dans une voiture de poste engagée dans la rivière, frappent naturellement ses regards. Napoléon donne aussitôt l'ordre de débarrasser le pont, et le colonel Petiet livre les prisonniers et leurs portefeuilles à l'empereur au moment où l'armée était déjà en marche pour revenir à Paris par Bar-sur-Aube et Troyes.
Il paraît que Napoléon trouva des renseignements très précieux dans les papiers des agents diplomatiques. Il en parla plusieurs fois avec vivacité, soit au prince de Wagram (Note : Berthier), soit au duc de Bassano, et il s'empressa de faire repartir le baron de Wessemberg, en le chargeant pour l'empereur François, d'une lettre, dont il espérait le résultat le plus avantageux.
Pendant les journées des 25, 26 et 27, que la division passa à Chaumont, le terrain, à quinze lieues à la ronde, avait été parcouru et occupé par nos hussards et chasseurs. De nombreux équipages appartenant à des généraux russes et autrichiens avaient été saisis. Des correspondances s'étaient formées par estafettes avec les maires de la Bourgogne et de la Lorraine, provinces au pouvoir de l'ennemi. Un mouvement général se préparait dans ces contrées, et on ne craint pas d'affirmer d'après les rapports positifs qui nous parvinrent à cette époque, qu'on aurait organisé sur les derrières des alliés une insurrection tellement considérable, que toutes leurs communications se seraient trouvées interceptées. Un rapport très détaillé à ce sujet fut adressé à l'empereur, et on lui proposait d'employer la division de cavalerie légère à fomenter, organiser et soutenir ce mouvement national. Mais Napoléon, préoccupé des événements qui menaçaient Paris, dont le danger lui avait été démontré par la défaite de Wintzingerode (Note : le 26 mars à Saint-Dizier) qu'aucun corps ennemi ne soutenait, ne songea plus qu'à rétrograder sur la capitale, et négligea le meilleur moyen, peut-être, d'en rendre l'invasion inutile et momentanée.
Le 28, le général de division, informé par une dépêche du major-général du retour de nos troupes par la Champagne, évacua Chaumont, et se porta à Vignory pour réunir ses détachements et couvrir le flanc gauche de l'armée. Il reçut bientôt une autre dépêche du prince de Wagram, qui lui prescrivait de ne s'arrêter que le temps nécessaire pour rafraîchir les chevaux, jusqu'au moment où il aurait repris l'avant-garde.
Dans la nuit, la cavalerie légère se mit en mouvement par Colombey-les-Deux-Eglises, Bar-sur-Aube et Vandœuvres, et ne s'arrêta qu'à Daudes ( ?), le 29 au soir. Cette marche forcée continua le lendemain par Troyes et la route de Sens jusqu'à Paizi-Caudon ( ?). Tout ce pays entièrement ravagé par la guerre dont il avait été plusieurs fois le théâtre, ne présentait plus de ressources, et nous eûmes beaucoup de peine à nous procurer des vivres et des fourrages."