vendredi 29 mai 2009

Les carrières "jumelles" des deux cousins de Sommancourt (1ère partie)

Automne 1805. Lorsque le 34e régiment d’infanterie de ligne marche, au sein de la Grande-Armée, contre les Autrichiens, première grande campagne militaire de l’ère impériale, voilà déjà quatorze ans que deux de ses officiers, Charles-Frédéric Gardel et Joseph-Frédéric Jacquot, sont sous les drapeaux. Quatorze années passées à se battre, du Nord de la France au Maine-et-Loire, en passant par la Belgique, l’Allemagne et l’Italie.

Quatorze années de campagnes périlleuses de la Révolution que les deux hommes ont donc traversées, non sans avoir chacun été blessé, deux hommes qui sont montés en grade. Jacquot est lieutenant depuis le 10 septembre 1803, Gardel, sous-lieutenant depuis le 26 décembre 1799.

Mais ils n’imaginaient sans doute pas, en se dirigeant vers le Danube, qu’ils allaient encore découvrir nombre de capitales européennes, bien éloignées de leur village natal de Sommancourt…

Volontaires nationaux

Au-dessus de Wassy, à gauche de la route vallonnée menant à Joinville, sur le plateau entre Blaise et Marne, est posé Sommancourt. Un tout petit village qui n’a jamais fait parler de lui dans l’Histoire. L’érudit haut-marnais Emile Jolibois, au XIXe siècle, le présente d’ailleurs très succinctement : une population de 183 âmes en 1789, et une église dédiée à saint Benigne.

Sous l’Ancien Régime, c’est un village de manouvriers, essentiellement. La minceur des registres paroissiaux témoigne du peu d’importance de la population. Quatre naissances, seulement, enregistrées pour l’année 1772. Dont celles de deux garçons : Joseph-Frédéric Jacquot, le 16 janvier, et Charles-Frédéric, le 5 mai.

« Conscrits » - c'est-à-dire de la même « classe », ils sont d’abord et avant tout cousins germains. Le premier est fils de Charles, manouvrier d’origine meusienne, lequel est le parrain du second, enfant de Frédéric, recteur d’école, dont les ancêtres sont originaires de Doulevant-le-Château..

Comme des dizaines de milliers de Français, les événements de 1789, survenus alors que les deux cousins ont 17 ans (ils ont en commun le grand-père Gardel), vont bouleverser leur vie. Sommancourt cesse alors d’être un village du diocèse de Châlons, province de Champagne, pour devenir commune du canton de Fays, district de Saint-Dizier, département de la Haute-Marne.

Pour défendre les acquis de la Révolution, le tout jeune département lève un bataillon de volontaires nationaux. Chaque district forme une ou deux compagnies, qui convergent vers le chef-lieu, Chaumont, où est organisé officiellement, le 17 septembre 1791, le 1er bataillon.

C’est un capitaine de l’armée royale, Henry Doré de Brouville, 49 ans, né à Bienville mais domicilié à Buxières-lès-Froncles, qui en est élu lieutenant-colonel en premier. Son fils de 17 ans et un neveu de 15 – tous deux prénommés également Henry – l’accompagnent dans l’aventure.

Composition de l’unité : une compagnie de grenadiers et huit de fusiliers. Les volontaires des environs de Wassy appartiennent à la 5e compagnie, confiée à un ancien soldat du roi natif d’Eclaron, Claude-Antoine-Augustin Pissot. C’est vraisemblablement à cette compagnie que sont incorporés les deux cousins, à l’instar de Jacques Benoit, de Wassy.

Rapidement, le 1er bataillon de la Haute-Marne se porte sur les Ardennes. Le 10 octobre 1791, il arrive à Vouziers pour y passer l’hiver. En mai 1792, il rejoint l’armée de la Moselle, hormis les grenadiers du capitaine langrois Jacquinot, qui vont participer à l’affaire de Valmy, puis à la bataille de Neerwinden (18 mars 1793).

Pendant ce temps, le bataillon participe à l’expédition sur Trêves (hiver 1792-93), à l’affaire de Hombourg (mai 1793), avant d’être affecté à l’armée du Nord en juillet 1793. Là, l’y retrouvent les grenadiers.

Dès lors, le 1er de la Haute-Marne ne cesse de se battre sur la frontière franco-belge. Le 27 août 1793, il lutte à Tourcoing. Ses pertes sont lourdes : 18 tués, dont le capitaine Ageron, les sous-lieutenants Duché et Graillet. Du 9 au 11 septembre, il perd encore six tués dans les combats d’Ypres. Le 13, les volontaires souffrent pour enlever Wervicq, près de Lille, commune défendue par les Austro-Suisses. Dans l’affaire, le bataillon enlève huit canons. Mais deux jours plus tard, le repli des troupes françaises sur Lille se traduit par une panique au sein de la division Hédouville, culbutée près de Bisseghem, qui coûte au bataillon cinq tués – le futur général Lecourbe est blessé à cette occasion.

Parmi les victimes de ces combats, le lieutenant-colonel Brouville, ainsi que Joseph Jacquot, caporal depuis le 22 février 1793 : il a reçu deux coups de sabre au poignet, le 17 septembre. Ses premières blessures… Quant à son cousin Gardel, il est lui aussi caporal, depuis le 15 mars de la même année.

Avant de prendre ses quartiers d’hiver, l’unité est encore engagée dans la bataille de Wattignies, le 16 octobre 1793 : un fusilier de la 5e compagnie y est tué, un autre de la 8e est mortellement blessé.

Plusieurs mois se passent. Le 16 avril 1794, le bataillon, qui a reçu en trois ans 924 recrues venues de différents départements, cesse d’exister au profit de la 85e demi-brigade de bataille. Sur 996 Haut-Marnais qui y sont affectés, 455 sont des survivants des levées de 1792 et 1793.

Dans cette 85e dont Brouville prend le commandement en qualité de chef de brigade, la 5e compagnie devient 8e (dite 24e) compagnie, capitaine Pissot, du 3e bataillon, celui-ci confié au chef de bataillon Sébastien Bauer.

Les opérations de l’armée du Nord reprennent. Au printemps 1794, la 85e se bat sur la Sambre. A Sprimont, six Haut-Marnais sont tués, deux mortellement blessés. En octobre, l’unité fait tomber Juliers (aujourd’hui en Allemagne).

Février 1795 marque son départ du théâtre d’opérations de l’armée du Nord pour rejoindre l’Ouest de la France. Ici, l’ « ennemi » est Français : ce sont les chouans. Pas de bataille rangée, mais une guerre d’embuscades – notamment contre les hommes de Charette - qui se révèle meurtrière : tour à tour, tombent le capitaine Mailfert (le 9 août), le sous-lieutenant François Jeanson, de Brousseval (le 24), le capitaine Collet, de Choiseul (tué près d’Ancenis). Un succès : le 12 juin 1795, celui du sous-lieutenant Barbier et 30 hommes contre une bande d’insurgés.

Officiers au 34e de ligne

Après ces opérations, un deuxième amalgame entraîne, le 19 février 1797, la dissolution de la 85e et la création de la 34e demi-brigade d’infanterie de ligne, commandée par le chef de brigade Marc Mazas. De son côté, Brouville va rester dans l’Ouest de la France, au commandement de la place du Mans. Il décèdera comme chef de brigade de gendarmerie à Vesoul, en 1801…

N’y subsistent plus que 251 Haut-Marnais. Parmi eux : Gardel et Jacquot. Le premier, qui était sergent depuis le 1er novembre 1793, est passé sergent-major le 20 janvier 1795 et sert au 2e bataillon. Tout comme le second, caporal fourrier depuis le 20 janvier 1795.

Après le Nord de la France, la Belgique, l’Allemagne, le pays chouan, les Haut-Marnais vont se battre dans un nouveau pays : l’Italie.

L’an 1799 est marqué par une sévère défaite : celle de Novi, le 15 août 1799. Le jeune général en chef de l’armée d’Italie, Barthélémy Joubert, 30 ans, trouve la mort lors de cette victoire des Russes. La 34e de ligne y subit de lourdes pertes : selon l’amicale du régiment, sur 1 700 hommes, 482 sont hors de combat. Parmi les cadres haut-marnais blessés, le capitaine Laurent (I/34e) et le sergent-major (depuis le 28 décembre 1798) Jacquot, ce dernier d’un coup de feu à la jambe gauche. C’est sa seconde blessure, en déjà huit années de services…

Le 34e se bat encore à Coni, à Mondovi, à Milan. En avril 1800, alors que la France est passée sous le régime du Consulat, la demi-brigade, servant sous les ordres du général Suchet, combat à nouveau dans la péninsule, en Ligurie. A Saint-Jacques (11 et 12 avril), le capitaine Pissot, qui commande par intérim le I/34e, est blessé – il mourra à Nice quelques semaines plus tard. Charles Gardel, passé sous-lieutenant fin décembre 1799, dans la 7e compagnie du II/34e, est touché, le 12, de trois coups de feu.

Jusqu’en 1803, année où elle se transforme en régiment, la 34e reste en Italie. Puis elle rejoint Mayence. Il subsiste alors dans ses rangs quelques Haut-Marnais parmi les officiers : les capitaines Laurent, Renaud, Barbier (de Langres), Charonnot (de Chaumont) ; les lieutenants Gillet (Poissons), Jacquot (promu le 10 octobre 1803) ; les sous-lieutenants Gardel, Choublanc (Prauthoy)…

Comme de nombreux régiments, le 34e est cantonné dans le Pas-de-Calais, à Saint-Omer, face à l’Angleterre. Il est toujours sous les ordres de Suchet, commandant désormais une division - qui deviendra la 1ère du 5e corps -, formant brigade avec le 40e de ligne. Leur association durera presque tout l’Empire...

A noter que le corps, qui établira son dépôt à Givet (Ardennes), a implanté son détachement de recrutement à Arras. Mais s’il va désormais accueillir des conscrits originaires du Pas-de-Calais, il intègrera encore des Haut-Marnais. Ainsi, Maurice Fèvre, d’Humberville, incorporé le 19 octobre 1805.

Austerlitz, Iéna, Pultuski…
Tourné vers la Grande-Bretagne, le 5e corps va faire volte-face et marcher contre les Autrichiens. C’est à ce corps commandé par l’illustre maréchal Lannes qu’appartient, au sein de la brigade Beker, le 34e, colonel Dejean.

Suivons ses pérégrinations grâce aux souvenirs de Pierre-François Puffeney, un Franc-Comtois de 34 ans, alors sergent-major. Le 14 octobre 1805, le régiment passe le Danube près d’Elchingen pour enlever la position de Michelsberg, dans le cadre de la bataille d’Ulm. Le 4 novembre, le régiment affronte les Russes à Amstetten, le 13 il entre dans Vienne (nouvelle capitale…), le 18 dans Brunn. Selon Puffeney, le III/34e va rester dans cette ville, pendant que se déroulera la bataille d’Austerlitz.

Selon leurs états de services, Gardel et Jacquot prennent part à la fameuse bataille des Trois-Empereurs, dont ils sortent indemnes. Mais le 34e déplore 49 tués et 193 blessés, selon l’amicale du 34e. Le sous-lieutenant Blanc est tué, 19 officiers blessés, dont le chef de bataillon Klein et le sous-lieutenant Guillemin, qui mourra quelques semaines plus tard.

Après les Autrichiens et les Russes, vient le tour des Prussiens. C’est la campagne de 1806. Le 10 octobre, à Saalfeld, un officier haut-marnais, le capitaine Barbier, est tué, tout comme les capitaines Delpech et Javel. Le 14, c’est Iéna, où le régiment déplore 121 tués et 583 blessés, non sans avoir pris quinze pièces de canon et 400 Prussiens. Les officiers paient un lourd tribut : quatre tués et blessés à mort (capitaine Lecomte, lieutenants Anceaux et Ménescloux, sous-lieutenant Durat), 26 blessés, dont le colonel Pierre Dumoustier, son nouveau chef de corps.

Les Russes entrent à nouveau dans la danse. Après être entré dans Varsovie – encore une capitale européenne découverte par les deux cousins -, le 27 octobre, le régiment se bat le 26 décembre à Pultusk. Il s’y « couvre de gloire », même, selon le bulletin de la Grande-Armée. Nouvelles pertes parmi les officiers : les capitaines Grappe, Hourlon, Gauthier, Perron, les lieutenants Delpech, Ferrand. Le colonel Dumoustier est à nouveau blessé.

Le régiment n’est pas directement engagé à Eylau, mais prend part la bataille d’Ostrolenka (16 février 1807). Après le traité de Tilsitt, le 34e, qui appartenait à la brigade du général Dumoustier (son ancien colonel), quitte la Pologne pour la Silésie, puis le duché de Wartenberg.

A noter qu’avant Friedland (où le capitaine Barsut a été tué et le sous-lieutenant Boucher sont tués, le chef de bataillon Jean-François Chabert, 49 ans, blessé, avec les grenadiers et voltigeurs réunis), plusieurs de ses officiers ont été faits membres de la Légion d’honneur, par décret du 14 avril 1807 : les capitaines Drouard, Lanoix, Hubert, Troyon, Roux, Lautrec, Gérard Chaud, le lieutenant Fronge.

En 1808, le 34e de ligne change d’horizon : il entre en Espagne. Il y servira jusqu’en 1814…

(A suivre)

dimanche 24 mai 2009

Colas, chef de bataillon du 120e de ligne

Quoique capitaine, il a commandé en Espagne un bataillon du 120e de ligne, le régiment jadis dirigé par un Haut-Marnais (Etienne Gauthier, de Balesme-sur-Marne) et au sein duquel s’illustra le capitaine Louis François, de Donnemarie. Belle carrière que celle de Marcel Colas, né à Montreuil-sur-Thonnance (canton de Poissons) le 15 janvier 1768.
Il s’enrôle comme grenadier au sein du 2e bataillon de volontaires de la Haute-Marne, le 3 août 1792. Sergent en l’an III, il passe sous-lieutenant le 18 floréal an VIII. Il sert alors au sein de la 75e demi-brigade, avec laquelle il se bat en Egypte sous les ordres du chef de brigade Maugras. Blessé dans ce pays en l’an VII et au Caire l’année suivante. Auparavant, il avait été touché dans sa chair le 27 janvier 1793, le 13 avril 1793, en l’an II...
Colas est promu lieutenant le 1er vendémiaire an XII, puis capitaine le 15 nivôse an XIV. C’est à ce titre qu’il reçoit un coup de feu à la jambe gauche à Austerlitz, toujours avec le 75e – Martinien n’en fait pas état. Lors de cette glorieuse journée, il se distingue dans la poursuite des troupes alliées à la tête de ses grenadiers.
Le 1er juillet 1808, le Haut-Marnais passe au 120e de ligne. Avec ce corps, il sert de 1808 à 1812 dans la péninsule.
Durant cette longue campagne, il est fait chevalier de la Légion d’honneur le 14 juillet 1811. La même année, il est à la tête du 3e bataillon du 120e, en remplacement du commandant Brancion.
Le capitaine Colas, jamais promu au grade supérieur, cesse de servir le 26 décembre 1812, à l'âge de 44 ans. Retraité, il prend pour épouse, dans son village natal, en 1813, Gertrude Colas, fille du maire de Montreuil-sur-Thonnance. Il est alors qualifié de chevalier d’Empire – Révérend ne le recense toutefois pas parmi les membres de cette noblesse. Puis il reprend brièvement du service durant les Cent-Jours au sein du 3e bataillon de grenadiers de la Haute-Marne, dont il commande une compagnie. Nous savons qu’il vit toujours en 1830, mais nous n’avons pas trouvé trace, dans l’état civil de la commune, de son décès. Selon son dossier de la Légion d’honneur (base Léonore), il serait mort le 4 mars 1841.