mercredi 29 décembre 2010

Le dernier combat du "brave" général Salme

« J’approuve que les généraux Salme, Ficatier, Lorencez soient envoyés en Catalogne. » Datés du 14 avril 1810, depuis le palais impérial de Compiègne, ces quelques mots de Napoléon valent onction. Certes, la péninsule ibérique est grande mangeuse d’hommes et notamment de généraux, mais cet accord montre que l’empereur ne s’oppose plus à un réemploi définitif de Jean-Baptiste Salme.
Un général absent des premières campagnes napoléoniennes, en raison d’une disgrâce expliquée par ses amitiés républicaines. C’est que l’homme, général à 27 ans, commandait déjà une division de troupes révolutionnaires, qui fit tomber Grave, Utrecht… C’était il y a déjà seize ans.

La carrière du général Salme a déjà fait l’objet de plusieurs publications. Louis Heitz lui a consacré un ouvrage quasi introuvable aujourd’hui. Un auteur s’est penché sur la carrière de cet homme dans les « Cahiers haut-marnais ». Et son compatriote Didier Desnouvaux a apporté de nouveaux éléments biographiques dans cet article :
http://www.histoire-genealogie.com/spip.php?article868

Rappelons toutefois les grandes lignes de la carrière chaotique de Jean-Baptiste Salme, fils de laboureur, né à Aillianville, dans le canton de Saint-Blin, en 1766. Entré dans le métier des armes comme dragon en 1784, il s’enrôle à Neufchâteau dans le 1er bataillon de volontaires nationaux des Vosges, où il est nommé sous-lieutenant en 1792. Marié la même année, il prend part aux premières opérations sur le Rhin, récoltant deux blessures en 1792 et 1793. Son ascension est plutôt rapide, puisque le voilà lieutenant-colonel du 15e bataillon des Vosges, puis chef de la 3e demi-brigade de ligne, enfin, le 30 mars 1794, général de brigade. Il n’a pas 28 ans. Servant sous le général Pichegru à l’armée du Nord, blessé à Malines, Salme s’illustre dans la campagne de Hollande à la tête de la 4e division. Après une première destitution, il retrouve son arme d’origine, la cavalerie, en prenant le commandement d’une brigade de dragons de l’armée de Sambre-et-Meuse. Destitué à nouveau en raison de son amitié avec Pichegru, réintégré, désigné pour l’armée d’Egypte grâce à ses liens avec le général Kléber, il ne peut embarquer, rejoint l’armée de Naples de Macdonald, et prend part à la funeste campagne de 1799, au cours de laquelle il est blessé et fait prisonnier. Désigné – éloigné ? – pour l’armée de Saint-Domingue, il y est nommé général de division à titre provisoire en 1892 par le général Leclerc… et renvoyé en France. Comme l’a rappelé Didier Desnouvaux, plusieurs motifs ont été avancés pour expliquer ce renvoi : son état de santé, une liaison supposée avec Pauline Bonaparte (la femme du général Leclerc), une suspicion de marché noir, ou, plutôt, ses violentes critiques sur le rétablissement de l’esclavage dans l’île… Mis à la retraite en 1803, à seulement 37 ans, il se retire en Alsace, dans la famille de sa femme, puis à Neufchâteau, d’où il sollicite à plusieurs reprises sa réintégration dans l’armée. Il obtient pour la première fois gain de cause, en 1809, à la tête d’une brigade de gardes nationales – lui, l’ancien commandant de division ! - dans les Flandres, puis donc en Espagne.
A noter que, jusqu’à cette nouvelle affectation, la carrière de Salme a été étrangement similaire avec celle du général Humbert : lieutenant-colonel d’un bataillon vosgien, général de brigade en 1794 (il se battra ensuite en Bretagne puis débarquera en Irlande), affecté à l’armée de Saint-Domingue, suspecté lui aussi d’une liaison avec Pauline Bonaparte (décidément…), renvoyé en France, destitué en 1803… sauf que lui ira ensuite se fixer aux Etats-Unis où il se battra à La Nouvelle-Orléans contre les Anglais et où il décédera.

Revenons à la carrière du général Salme. Désigné le 16 avril 1810 pour l’armée de Catalogne, l’enfant d’Aillianville va recevoir le commandement d’une brigade composée de deux unités françaises, les 7e et 16e de ligne, au sein d’une division majoritairement italienne. Dont Harispe, promu le 10 octobre 1810, prendra le commandement.
C’est le maréchal Macdonald qui, le 24 avril 1810, prend la direction de cette armée (en réalité le 7e corps des troupes de la péninsule), dont Souham commande la 1ère division. Macdonald, sous les ordres duquel Salme a déjà servi, Souham sont des vétérans des campagnes de la Révolution.

Nous sommes peu renseignés sur la conduite de Salme durant les opérations de 1810. En janvier 1811, sa brigade participe à une expédition dirigée sur Molins del Rey, le col d’Ordal et Villafranca. Le 16, un lieutenant du 7e de ligne est blessé à Vals. Passé depuis cinq jours sous les ordres du général Suchet, ce régiment, aux ordres du chef de bataillon Miocque, est attaqué le 31 dans les défilés de Manresa et perd 3 ou 400 hommes, dont les capitaines Aubonix et Grossambert, du 7e.

Bientôt, les troupes de Catalogne vont participer au siège de la ville catalane de Tarragone, au bord de la Méditerranée. Selon leur chef, le général Suchet, le général Harispe, chef de la 3e division (dont Salme commande la 1ère brigade), passe le 4 mai 1811 le Francoli afin de faire rentrer l’ennemi dans la ville. « Les postes espagnols établis en avant de l’Olivo, appuyés par l’artillerie du fort, opposèrent une résistance vigoureuse et opiniâtre. La brigade Salme les attaqua à plusieurs reprises. Elle parvint à les repousser, et à gagner le terrain nécessaire à son établissement. Ce premier combat nous coûta 180 hommes tués et blessés, parmi ces derniers huit officiers, entre autres le lieutenant Brenier du 7e qui reçut quatre blessures, et le lieutenant Bouthier du 16e qui ne voulut point quitter sa compagnie »Dans la nuit du 13 au 14 mai, Salme se met à la tête de huit compagnies d’élite des 7e et 16e de ligne français, du 2e léger et 4e de ligne italiens et enlève des retranchements en avant du fort Olivo, pierre angulaire du dispositif de défense espagnol.
Dans la nuit du 27 au 28 mai 1811, il y eut, devant le fort, une sortie des assiégés. L’ouvrage « Journaux des sièges faits ou soutenus par les Français dans la péninsule », qui s’inspire des mémoires du maréchal Suchet, raconte : « Le général Salme, qui veillait sans relâche au succès de l’opération, avait ses réserves toutes prêtes : il accourut aussitôt, et il criait : « Brave septième en avant ! » lorsqu’un biscaïen le frappa à la tête et le renversa mort. Nos soldats, furieux de la perte de leur général, se précipitèrent sur les Espagnols, les culbutèrent, et les poursuivirent jusque sous les murs du fort ».La mort du général haut-marnais est vivement ressentie dans les rangs de l’armée. Ainsi, le 31 mai, Suchet écrira au maréchal Berthier : « La mort du général Salme, qui réunissait toute la confiance de sa brigade, bien loin de ralentir l’ardeur de ses troupes, n’a fait naître en elles que le désir de le venger ». Dans ses mémoires, Suchet enfoncera le clou : « Le général Salme réunissait au plus haut degré les premières qualités militaires ; son audace, son intrépidité entraînaient le soldat. Le général en chef ressentit un véritable chagrin de la perte de cet officier général, qui était depuis fort peu de temps sous ses ordres, mais dont il avait apprécié les services, et pour lequel il avait obtenu une récompense (Note : la Légion d’honneur), dont la nouvelle arriva quelques jours après sa mort. Toute l’armée le regretta… » En hommage à ce chef estimé, le fort Olivo sera d’ailleurs baptisé fort Salme, sur ordre du général Suchet.
De son côté, l’anthologie « Victoires et conquêtes » n’aura que des mots élogieux pour Salme : « La franchise, la loyauté, la cordialité rehaussaient ses vertus guerrières. Sa bienveillance et son extrême générosité tempéraient et dominaient son caractère ardent et sévère. L’honneur seul guidait toutes ses démarches, et la considération générale dont il jouissait était le fruit d’une conduite toujours exempte du moindre reproche. Longtemps disgracié par Napoléon, qui lui reprochait d’être trop républicain, Salme s’était résigné à vivre, comme Fabricius et Curius Dentatus, du produit de ses travaux champêtres. Militaire actif, instruit et vigilant, autant qu’ami généreux, désintéressé, d’une probité sévère, il était surtout attentif à veiller aux besoins des soldats ; il leur inspirait une estime, une confiance et un attachement sans borne… Avec le sang des Espagnols massacrés, pour ainsi dire, sur sa tombe, les soldats écrivirent sur les murs d’Olivo : « Notre brave général Salme vengé »…. » Nul doute que ces lignes, peu courantes dans cette anthologie, ont été couchées sur deux pages par un admirateur, si ce n’est un intime, du général Salme.
Même Thiers, auteur d’une inestimable histoire du Consulat et de l’Empire, évoquera un « jeune général de très grande espérance » ! Un « jeune » officier toutefois âgé de 45 ans, et général depuis 17 ans !

C’est le 28 juin 1811 que la ville de Tarragone capitulera. Un succès qui vaudra au général lyonnais Suchet – dont l’histoire familiale sera étroitement liée avec Rimaucourt – le bâton de maréchal d’Empire. Il est à noter que le siège aura été particulièrement meurtrier pour la brigade Salme, qui sera confiée au général meusien Ficatier. Au 7e de ligne, les chefs de bataillons Valot et Miocque ont été mortellement touchés, le chef de bataillon marnais François-Joseph Failly blessé. Au 16e de ligne, le chef de bataillon Revel a été tué, le chef de bataillon Poulin Faucaucourt blessé.

Didier Desnouveaux précise, au sujet de la mort du Haut-Marnais, que « Napoléon fit également déposer dans son cercueil les brevets de général de division et de baron de l’Empire. Ce titre ne fut pas régularisé et le décret fut simplement enregistré à la chancellerie sans délivrance de lettres patentes ni d’armoiries ».Le nom du général Salme est inscrit sur l’Arc de Triomphe. Et une rue de son village natal perpétue son souvenir.