Le 9 décembre 1811, Gabriel de Jerphanion, préfet de la Haute-Marne, est saisi d’une curieuse requête. Régnier, duc de Massa, ministre de la Justice, sollicite une enquête sur la moralité de Jean-Baptiste Pelletier, fils d’un de ses administrés, qui demande à servir – ou plutôt à continuer à servir - le Grand duché de Varsovie. Pelletier « s’est distingué constamment », ne peut que répondre le représentant de l’Etat le 9 janvier 1812.
Si le gouvernement impérial souhaitait obtenir des gages des qualités de cet officier supérieur, il n’avait – sans doute l’a-t-il fait – qu’à interroger l’entourage du prince Joseph Poniatowski, qui ne tarit pas d’éloges sur cet artilleur. Voici par exemple ce qu’écrit, le 6 mai 1809, le général Bronkowski (courrier cité par Wladyslaw de Federowicz dans « 1809. Campagne de Pologne », volume 1, Paris 1911) : «Nous avons ici un Français, le général Pelletier, duquel le prince Poniatowski fait grand cas, c’est un homme d’un mérite distingué, il nous est d’un grand conseil et d’un grand secours, sans lui nous serions mal servi du côté de l’artillerie… » Le militaire haut-marnais ne pouvait prétendre à meilleur hommage…
Comme le sapeur Charles Deponthon, autre homme de mérite puisqu’officier d’ordonnance de Napoléon, Jean-Baptiste Pelletier est né à Eclaron en 1777. Fils d’un notaire (Laurent-Alexis, 1746-1823, époux de Marie-Jeanne Guérin), il a rejoint comme élève l’école d’artillerie de Châlons-sur-Marne en 1793. La légende veut qu’il soit sorti deuxième de sa promotion, derrière l’estimable Antoine Drouot. Capitaine en second l’année suivante – il n’a que 17 ans – Pelletier sert dans les armées du Nord et d’Italie avant de passer chef de bataillon en 1804. Major du 8e d’artillerie à pied deux ans plus tard, il est promu colonel commandant l’artillerie de réserve, après la bataille de Friedland, à l’âge de 30 ans. Baron d’Empire et chef de corps du 7e d’artillerie à pied, il passe au service du Grand duché de Varsovie le 4 mars 1809, avec le grade de général de brigade (polonais). Ainsi commence l’honorable carrière « polonaise » de l’officier haut-marnais.
Conséquence de l’entrevue de Tilsitt, le Grand duché de Varsovie est érigé en 1807 avec des provinces polonaises conquises à la Prusse, à l’issue de la Campagne de Pologne, sous la souveraineté de Frédéric-Auguste, roi de Saxe. Le prince Joseph Poniatowski, 44 ans, devient ministre de la Guerre du nouvel Etat. Des officiers français lui sont adressés pour organiser son armée, et parmi eux le colonel Pelletier, à qui la charge de l’artillerie (sa spécialité) et du génie est confiée.
Le Haut-Marnais va faire l’étalage de ses qualités lors de la méconnue Campagne de Gallicie qui voit les Autrichiens, de nouveau en guerre contre Napoléon, envahir le jeune Etat. Une bataille s’engage le 19 avril 1809 à Raszyn, au sud-est de Varsovie, face à des Polonais en infériorité numérique. « A deux heures de l’après-midi, les colonnes de l’infanterie ennemie parurent. La canonnade commença en avant de Falenty, il parut que nos batteries dirigées par le général Pelletier les incommodaient beaucoup », rapportera Poniatowski au maréchal Berthier (cité par Federowicz). Dans cette lutte inégale, Pelletier ne se contente pas de canonner. Selon son compatriote, le colonel Saunier, il prit la tête d’un bataillon d’infanterie, avec les généraux polonais Fiszer et Sokolnicki, pour le conduire à l’assaut des Autrichiens à Nadarzyn. Malgré les efforts déployés, Raszyn est une défaite. Deux jours plus tard, une convention entraîne l’entrée des Autrichiens dans Varsovie.
Mais les combats ne prennent pas fin. On retrouve Pelletier, le 3 mai 1809, à l’attaque de la tête de pont autrichienne d’Ostrowek, sur la Vistule. Il « monta à cheval avec le général Sokolnicki et se mit à la tête de la troupe », racontera Roman Soltyk, officier polonais ayant servi en Russie et auteur d’une « Relation des opérations de l’armée aux ordres du prince Poniatowski » (1841). Pelletier se rend surtout illustre dans la conquête de la ville de Zamosc (future patrie de Rosa Luxembourg), dont le prince Poniatowski l’a chargé. L’assaut se fait à l’aide d’échelles, le 20 mai 1809. Soltyk précisera que sur les 3 000 Autrichiens environ formant la garnison, 2 500 ont été capturés, au prix de la perte d’une trentaine de Polonais. L’historien ne peut que se louer des « excellentes dispositions » de Pelletier, sur lequel il portera un jugement plutôt flatteur. Il s’agit, écrira-t-il, d’un homme « plein de mérite et d’instruction… Il jouissait de la confiance particulière de l’Empereur… », un officier « d’un courage imperturbable au milieu des grands périls, laborieux dans le cabinet, plein de prévoyance dans le conseil.. »
L’héroïsme des Polonais a cette conséquence que Varsovie est évacuée, que Cracovie – après la victoire de Wagram – est occupée le 18 juillet. A l’issue de cette campagne, le grand duché gagne en superficie.
Pour Pelletier, qui paraît avoir été promu général de division « polonais » (Six ne mentionne pas cette promotion) et qui aurait créé l’école militaire de Varsovie, le destin reste indissociable du grand duché, dont l’armée forme le 5e corps de la Grande Armée en prévision de la Campagne de Russie. Le 3 mars 1812, Pelletier reçoit en effet le commandement de son artillerie et du génie. Selon Charles Mullié, il est fait commandant de la Légion d’honneur après la prise de Smolensk. Mais le Haut-Marnais ne sortira pas indemne de la retraite : le 8 novembre 1812, Pelletier est capturé à Wiasma. L’ennemi paraît le prendre en considération, puisque le royaliste Joseph de Maistre, dans ses écrits, rapportera que ce « personnage important » a été tué dans la bataille. Selon Jean-Marie Chirol (« 251 personnages du pays haut-marnais »), Pelletier, prisonnier des Russes, aurait pris la défense de ses hommes captifs, ce qui lui aurait valu un isolement.
Après la première abdication de Napoléon, Pelletier entre brièvement au service du royaume de Pologne (Poniatowski est mort entre-temps lors de la bataille de Leipzig), avant de rentrer en France le 1er août 1814. Il est alors promu maréchal de camp français mais mis en non activité. Chevalier de Saint-Louis, commandant de la place de Givet, il obtient un commandement aux Cent-Jours : il commande en effet l’artillerie du 2e corps à Waterloo.
Le retour des Bourbon ne met pas un terme à son honorable carrière : en 1817, il commande l’école d’artillerie de Valence, puis l’année suivante celle de Toulouse. Il sert en Espagne en 1823, commande l’école d’application de l’artillerie et du génie à Metz, devient inspecteur général de l’artillerie, avant d’être retraité en 1848. Grand-croix de la Légion d’honneur sous le Second Empire, il meurt à Versailles en 1862, ultime survivant des généraux haut-marnais de l’Empire. Son nom est gravé sur l’Arc de triomphe.
Pour l’anecdote, l’écrivain Sainte-Beuve sera l’amoureux éconduit de sa fille. A noter également que deux frères du général se sont distingués sous l’Empire : Charles-Alexis, né en 1786, tanneur, choisi pour être lieutenant au 1er bataillon de la garde nationale de la Haute-Marne (1809) puis, autorisé à passer dans la ligne, désigné pour rejoindre le 28e léger à l’armée d’Espagne d’ici au 5 octobre 1810. Lieutenant au 1er bataillon de ce corps, il est mortellement blessé d’un coup de feu à la poitrine, hospitalisé à Bayonne le 28 juillet 1813, où il décède le 14 août ; et Claude-Laurent, né en 1779, tanneur à Eclaron, lieutenant de la garde nationale, fait membre de la Légion d’honneur le 28 janvier 1814 par Napoléon – de passage dans le bourg au lendemain de sa victoire à Saint-Dizier - pour son rôle dans la capture de soldats alliés. A noter enfin qu’un cousin du général, Joseph-Emile Guérin, né à Morlaix (Morley, dans la Meuse ?) en 1788, fils d’un professeur au collège de Saint-Dizier, est parti le rejoindre en Pologne. Il s’agit sans doute de ce lieutenant Guérin, aide de camp du général Pelletier en Russie….
Sources complémentaires : Georges Six (« Dictionnaires des généraux de la Révolution et de l’Empire ») ; archives départementales de la Haute-Marne.
Si le gouvernement impérial souhaitait obtenir des gages des qualités de cet officier supérieur, il n’avait – sans doute l’a-t-il fait – qu’à interroger l’entourage du prince Joseph Poniatowski, qui ne tarit pas d’éloges sur cet artilleur. Voici par exemple ce qu’écrit, le 6 mai 1809, le général Bronkowski (courrier cité par Wladyslaw de Federowicz dans « 1809. Campagne de Pologne », volume 1, Paris 1911) : «Nous avons ici un Français, le général Pelletier, duquel le prince Poniatowski fait grand cas, c’est un homme d’un mérite distingué, il nous est d’un grand conseil et d’un grand secours, sans lui nous serions mal servi du côté de l’artillerie… » Le militaire haut-marnais ne pouvait prétendre à meilleur hommage…
Comme le sapeur Charles Deponthon, autre homme de mérite puisqu’officier d’ordonnance de Napoléon, Jean-Baptiste Pelletier est né à Eclaron en 1777. Fils d’un notaire (Laurent-Alexis, 1746-1823, époux de Marie-Jeanne Guérin), il a rejoint comme élève l’école d’artillerie de Châlons-sur-Marne en 1793. La légende veut qu’il soit sorti deuxième de sa promotion, derrière l’estimable Antoine Drouot. Capitaine en second l’année suivante – il n’a que 17 ans – Pelletier sert dans les armées du Nord et d’Italie avant de passer chef de bataillon en 1804. Major du 8e d’artillerie à pied deux ans plus tard, il est promu colonel commandant l’artillerie de réserve, après la bataille de Friedland, à l’âge de 30 ans. Baron d’Empire et chef de corps du 7e d’artillerie à pied, il passe au service du Grand duché de Varsovie le 4 mars 1809, avec le grade de général de brigade (polonais). Ainsi commence l’honorable carrière « polonaise » de l’officier haut-marnais.
Conséquence de l’entrevue de Tilsitt, le Grand duché de Varsovie est érigé en 1807 avec des provinces polonaises conquises à la Prusse, à l’issue de la Campagne de Pologne, sous la souveraineté de Frédéric-Auguste, roi de Saxe. Le prince Joseph Poniatowski, 44 ans, devient ministre de la Guerre du nouvel Etat. Des officiers français lui sont adressés pour organiser son armée, et parmi eux le colonel Pelletier, à qui la charge de l’artillerie (sa spécialité) et du génie est confiée.
Le Haut-Marnais va faire l’étalage de ses qualités lors de la méconnue Campagne de Gallicie qui voit les Autrichiens, de nouveau en guerre contre Napoléon, envahir le jeune Etat. Une bataille s’engage le 19 avril 1809 à Raszyn, au sud-est de Varsovie, face à des Polonais en infériorité numérique. « A deux heures de l’après-midi, les colonnes de l’infanterie ennemie parurent. La canonnade commença en avant de Falenty, il parut que nos batteries dirigées par le général Pelletier les incommodaient beaucoup », rapportera Poniatowski au maréchal Berthier (cité par Federowicz). Dans cette lutte inégale, Pelletier ne se contente pas de canonner. Selon son compatriote, le colonel Saunier, il prit la tête d’un bataillon d’infanterie, avec les généraux polonais Fiszer et Sokolnicki, pour le conduire à l’assaut des Autrichiens à Nadarzyn. Malgré les efforts déployés, Raszyn est une défaite. Deux jours plus tard, une convention entraîne l’entrée des Autrichiens dans Varsovie.
Mais les combats ne prennent pas fin. On retrouve Pelletier, le 3 mai 1809, à l’attaque de la tête de pont autrichienne d’Ostrowek, sur la Vistule. Il « monta à cheval avec le général Sokolnicki et se mit à la tête de la troupe », racontera Roman Soltyk, officier polonais ayant servi en Russie et auteur d’une « Relation des opérations de l’armée aux ordres du prince Poniatowski » (1841). Pelletier se rend surtout illustre dans la conquête de la ville de Zamosc (future patrie de Rosa Luxembourg), dont le prince Poniatowski l’a chargé. L’assaut se fait à l’aide d’échelles, le 20 mai 1809. Soltyk précisera que sur les 3 000 Autrichiens environ formant la garnison, 2 500 ont été capturés, au prix de la perte d’une trentaine de Polonais. L’historien ne peut que se louer des « excellentes dispositions » de Pelletier, sur lequel il portera un jugement plutôt flatteur. Il s’agit, écrira-t-il, d’un homme « plein de mérite et d’instruction… Il jouissait de la confiance particulière de l’Empereur… », un officier « d’un courage imperturbable au milieu des grands périls, laborieux dans le cabinet, plein de prévoyance dans le conseil.. »
L’héroïsme des Polonais a cette conséquence que Varsovie est évacuée, que Cracovie – après la victoire de Wagram – est occupée le 18 juillet. A l’issue de cette campagne, le grand duché gagne en superficie.
Pour Pelletier, qui paraît avoir été promu général de division « polonais » (Six ne mentionne pas cette promotion) et qui aurait créé l’école militaire de Varsovie, le destin reste indissociable du grand duché, dont l’armée forme le 5e corps de la Grande Armée en prévision de la Campagne de Russie. Le 3 mars 1812, Pelletier reçoit en effet le commandement de son artillerie et du génie. Selon Charles Mullié, il est fait commandant de la Légion d’honneur après la prise de Smolensk. Mais le Haut-Marnais ne sortira pas indemne de la retraite : le 8 novembre 1812, Pelletier est capturé à Wiasma. L’ennemi paraît le prendre en considération, puisque le royaliste Joseph de Maistre, dans ses écrits, rapportera que ce « personnage important » a été tué dans la bataille. Selon Jean-Marie Chirol (« 251 personnages du pays haut-marnais »), Pelletier, prisonnier des Russes, aurait pris la défense de ses hommes captifs, ce qui lui aurait valu un isolement.
Après la première abdication de Napoléon, Pelletier entre brièvement au service du royaume de Pologne (Poniatowski est mort entre-temps lors de la bataille de Leipzig), avant de rentrer en France le 1er août 1814. Il est alors promu maréchal de camp français mais mis en non activité. Chevalier de Saint-Louis, commandant de la place de Givet, il obtient un commandement aux Cent-Jours : il commande en effet l’artillerie du 2e corps à Waterloo.
Le retour des Bourbon ne met pas un terme à son honorable carrière : en 1817, il commande l’école d’artillerie de Valence, puis l’année suivante celle de Toulouse. Il sert en Espagne en 1823, commande l’école d’application de l’artillerie et du génie à Metz, devient inspecteur général de l’artillerie, avant d’être retraité en 1848. Grand-croix de la Légion d’honneur sous le Second Empire, il meurt à Versailles en 1862, ultime survivant des généraux haut-marnais de l’Empire. Son nom est gravé sur l’Arc de triomphe.
Pour l’anecdote, l’écrivain Sainte-Beuve sera l’amoureux éconduit de sa fille. A noter également que deux frères du général se sont distingués sous l’Empire : Charles-Alexis, né en 1786, tanneur, choisi pour être lieutenant au 1er bataillon de la garde nationale de la Haute-Marne (1809) puis, autorisé à passer dans la ligne, désigné pour rejoindre le 28e léger à l’armée d’Espagne d’ici au 5 octobre 1810. Lieutenant au 1er bataillon de ce corps, il est mortellement blessé d’un coup de feu à la poitrine, hospitalisé à Bayonne le 28 juillet 1813, où il décède le 14 août ; et Claude-Laurent, né en 1779, tanneur à Eclaron, lieutenant de la garde nationale, fait membre de la Légion d’honneur le 28 janvier 1814 par Napoléon – de passage dans le bourg au lendemain de sa victoire à Saint-Dizier - pour son rôle dans la capture de soldats alliés. A noter enfin qu’un cousin du général, Joseph-Emile Guérin, né à Morlaix (Morley, dans la Meuse ?) en 1788, fils d’un professeur au collège de Saint-Dizier, est parti le rejoindre en Pologne. Il s’agit sans doute de ce lieutenant Guérin, aide de camp du général Pelletier en Russie….
Sources complémentaires : Georges Six (« Dictionnaires des généraux de la Révolution et de l’Empire ») ; archives départementales de la Haute-Marne.
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